mercredi 5 avril 2017


La Boucle


Au dernier replat, il ne reste plus que quatre cent mètres à parcourir  avant d’atteindre la crête. Le vieux Demetrio reprend son souffle. L’ascension devient de plus en plus difficile, il lui faut souvent s’arrêter. Il s’appuie sur son bâton tandis que son chien fait des allers et retours devant lui en jappant. Demetrio repart, il peine, parfois sa chaussure accroche la pierre. Pas une goutte de sueur à son front, il est sec, comme le ruisseau qui coule derrière la ferme. Il n’y reste qu’un maigre filet d’eau au printemps, et à la fin de l’été, rien. Il fut un temps où les pentes restaient vertes jusqu’à l’automne. Maintenant tout est jaune, un jaune pâle, la montagne a mauvaise mine. Les pottoks sont une race de chevaux particulèrement résistante, mais ils tombent, les uns après les autres. La dernière fois que Demetrio est monté voir ses chevaux, il y avait  encore une carcasse à moitié mangée par les vautours. Demetrio n’a pas pleuré, trop sec, il a fait une grimace et son chien l’a regardé en dressant les oreilles.
Demetrio grimpe, lentement. Il s’arrête à nouveau. Et ces nuages qui passent, ne font que passer, sans jamais donner de pluie. Il doit bien y avoir de l’eau dans ce gris, où-va-t’elle?
Demetrio s’approche de la crête, et encore, il s’arrête. Mais maintenant ce n’est pas pour reprendre sa respiration, non, c’est une vision qui l’arrête. Il se voit là haut, ombre chinoise sur la crête, suivi du chien, des derniers pottoks, et de sa femme, ses enfants, ses petits enfants, le curé, le maire, l’ accoucheuse et l’ institutrice, et ses amis qui ne sont plus là. Une joyeuse procession défile sur la crête. Il se souvient alors de ce spectacle d’ombre qu’il avait vu à l’école. Il avait six ans, une troupe de marionnettistes avait fait escale au village. C’est le seul spectacle qu’il ait vu de sa vie entière, un éblouissement. Il se souvient de ces ombres dans le cadre blanc, de la voix chaude du conteur, invisible. Alors Demetrio sait qu’il ne montera plus, il est arrivé, la boucle est bouclée.

(Ibardin, Pays Basque, 18 février)

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