Au cimetière des navires de Landévénnec
(Landévénec, 14 septembre)
Après avoir marché allègrement sur l’étroit sentier longeant l’Aulne en bordure de falaise, là où mousses et lichens prennent possession des pierres, où le vent et la forte pente donnent aux arbres formes étranges et préhistoriques, nous sommes immobiles sur une mince corniche, adossés au rocher sombre, face aux navires de guerres remisés, abandonnés à la rouille, aux oiseaux et aux fantômes.
Je suis en compagnie d’Isabelle, et du jeune frère Florent. La conversation est grave et légère, laissant une large place au silence. Un cormoran plonge dans l’eau calme, dessinant un rond parfait. Longtemps nous le cherchons avant de le voir réapparaître bien plus loin.
Aux questions qui affleurent devant les bateaux gris, frère Florent cite de mémoire un extrait de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke.
Le soir même, au dîner, Florent m’apporte une petite feuille jaune sur laquelle il a recopié d’une écriture légèrement penchée et heurtée l’exacte citation de Rilke avec dans la marge le numéro de la page: 43
« Je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur. Efforcez vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement un jour dans les réponses. »
Cher frère Florent.
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