mercredi 3 juillet 2024


Les îles du Salut 

(Kourou, Guyane, 3 mai 2023, 9h 45)

Tremper les pieds à la pointe des roches

Chanter un blues un cajòn entre les jambes

Se confier à l’arbre tordu et au chien errant

Au large il y a l’île Royale, l’île Saint-Joseph et l’île du Diable

Les îles du Salut, les premiers colons y trouvèrent refuge

Puis vinrent les forçats, les incorrigibles, les communards

Pendant quatre ans Dreyfus y fut cloitré

On ne s’échappe pas de l’île du Diable, de Saint-Joseph ou de l’île Royale

Les îles du Salut, les mal nommées

Je me confie à l’arbre tordu, voilà ce que j’ai entendu l’autre jour:

Faut les envoyer au bagne les incorrigibles, les communards, les…

La parole se lâche sous les imperméables kakis

Les gudarts sont de retour avec bâtons et grimaces

Je tape sur mon cajòn pour m’endurcir les mains

lundi 1 juillet 2024


Législatives

(Hendaye, 27 janvier, 8h 20)

C’est au large de cette plage, à Hendaye, que nous avons répandu les cendres de mon père il y a quelques années. Mon père était de droite, il croyait au progrès et au grand capital, il lisait le Figaro et le Monde. J’étais le seul garçon, destiné à  prolonger une lignée d’ingénieurs polytechniciens. Très jeune je pris une autre route, je lisais Libération, j’étais de toutes les manifestations contre le pouvoir en place, j’abandonnai des études de mathématique pour devenir acteur. Je faisais ma vie, mais nous n’avons jamais coupé les ponts. Quand nous nous voyions nous discutions politique. Bien sûr nous n’étions jamais d’accord. J’élevais la voix, l’échange était vif, ma mère nous demandait de cesser. Mais nous argumentions. Je grandissais, je me forgeais d’autres valeurs, nos discussions étaient toujours aussi denses, mais nous n’élevions plus la voix malgré nos profonds désaccords. Avec le temps nos arguments devinrent plus fournis, nous primes du plaisir à ces conversations, ma mère toujours persuadée que nous  nous disputions comme lorsque j’étais adolescent, nous nous respections comme les joueurs de rugby de deux équipes adverses.

Hier soir, après les résultats catastrophiques de cette élection législative je fus sidéré une fois de plus de l’incapacité de certains à s’écouter, à argumenter. Le sourire cynique, le discours creux et mensonger des gens du RN, la lâcheté et le manque de clarté d’autres responsables politiques, étaient désespérants.

L’échange aurait été âpre avec mon père, mais je suis convaincu que nous serions tombés d’accord, qu’il ne faudrait qu’à aucun prix le RN n’accède au pouvoir.