Un ami
(Vers la Roche Brulée, Azy, Belgique, 26 septembre, 12h)
Le sentier au dessus de la Semois est escarpé. Dans la pente, chaos de rochers et d’arbres morts.
En bas la rivière sommeille, les eaux sont basses, un léger bruissement. Le marcheur regarde où il met les pieds sur la terre glissante. Il ne peut pas voir la tête blanche fixée au tronc moussu au dessus du chemin.
J’ai glissé sur une pierre humide. À la seconde où je me vis dévaler la pente, j’eus la sensation que quelqu’un me retenait par l’épaule. Figé dans un équilibre précaire, je regardai en bas. À-pic, éboulis, chablis, et l’eau, limpide. Je regardai en haut. Un visage en suspension dans le taillis.
Et cette chaleur étrange à l’épaule.
Une tête en plâtre. Aucun nom. Rien d’autre autour. Une sculpture accrochée à l’écorce, à peine tachée, récente sans doute, ou nettoyée régulièrement. Le buste d’un homme d’un autre temps, contemporain de Caspar David Friedrich, en pleine forêt, loin de tout, sur une pente abrupte.
Est-ce un hommage à un disparu? Un homme qui aurait fait un faux pas, roulé jusqu’au torrent et sombré dans les eaux boueuses? Un homme poursuivi qui se serait effondré au pied de cet arbre? Un homme amoureux de ces lieux qui s’y serait rendu chaque dimanche en famille tenant à leur prouver que le paradis n’était pas si loin?
De retour à la maison, après plusieurs jours de recherches, je n’ai rien trouvé concernant cette tête. Il y a bien eu quelques noyés retrouvés dans la Semois, mais aucune ressemblance avec cet homme.
Ce dont je suis sûr, c’est que si nous nous étions rencontrés, nous aurions été amis. Mais n’est-ce pas ici une rencontre? Et si c’était Caspar David Friedrich, lui-même, celui qui a peint la beauté du chaos, celui dont on dit que le tableau Deux hommes contemplant la lune aurait inspiré à Samuel Beckett l’écriture de En attendant Godot?
Non, il ne ressemble pas au peintre romantique, son costume n’est pas de la même époque, je dirais plutôt fin dix-neuvième, début vingtième. Dommage.Je scrute ce visage, je ressens toujours cette chaleur à l’épaule. Tiens, il a les paupières légèrement tombantes, lui aussi, comme moi…
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