mercredi 30 mars 2022


L'éclusière

(Vallée des éclusiers, Arzviller, Moselle, 15h 10)

C’est au bar Le Papar Hasar qu’on m’a raconté cette histoire.

L’histoire d’une éclusière plus forte que deux hommes.

Une éclusière qui chantait comme une sirène quand elle ouvrait les vannes.

Une éclusière qui aimait tant les mariniers qu’elle collectionnait les passades.

Partout sur le canal de la Marne au Rhin on se donnait le mot.

Il fallait prendre garde à ne pas se faire broyer disait-on.

Elle siégeait à l’écluse n°9, au centre d’une échelle de 17 écluses, au seuil des Vosges.

Elle avait les mains calleuses à force de travail, mais la peau du ventre douce comme du satin.

Son chant était une promesse aux bateliers épuisés.

Sonnant sur les pierres rouges des coteaux, il annonçait consolation puis embrasements.

Un jour on déclara qu’on allait abandonner ce bout de canal.

Franchir ces écluses successives prenait trop de temps, coûtait de l’argent.

On allait construire un ascenseur à péniches, le fameux Plan incliné d’Arzviller.

Les marchandises iraient plus vite, les marchands seraient contents et l’éclusière au chômage. 

Alors elle a attendu le dernier jour, la dernière péniche, avant qu’elles ne prennent l’autre route.

Le marinier était un petit homme sec et timide qui baissait les yeux devant les femmes.

Starsky était son nom, oui, Starsky, je n’invente pas. Starsky a dit oui. Ils sont partis, ensemble.

Et l’éclusière a chanté si fort que les vitres de sa maison se sont brisées,

que toutes les vitres des17 maisons d’éclusier se sont brisées, laissant entrer le vent,

tandis que la dernière péniche remontait le canal.

 

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