samedi 7 mai 2022


Arthur et les vieux arbres têtards 

(Peñas de Haya, Espagne, 6 mai, 16h 20)

Arthur et le Vieux monte vers les Trois couronnes, la montagne à trois têtes, la montagne qui veille sur l’océan. La forêt est d’un vert tendre, pottok et betizu font tinter leur sonnailles.

Petits chevaux, petites vaches sauvages dont les noms évoquent des amitiés canailles naissant sur les pentes.

La montée est rude. Arthur caracole devant. Les pierres roulent sous ses pieds, il ne perd jamais l’équilibre. Le vieux est plus prudent. Autrefois il descendait les montagnes en courant. Il sait qu’un jour Arthur partira seul dans la montagne et lui aussi dévalera les chemins escarpés.

Soudain Arthur s’arrête net, impressionné par de vieux arbres massifs qui ressemblent à des monstres tentaculaires à mille yeux.

Ce sont de très vieux arbres têtards, dit le Vieux. Des paysans vivaient ici, il y a très longtemps. Ils taillaient régulièrement les arbres à leurs têtes pour le bois dont ils avaient besoin. Un jour ils sont partis et les arbres ont continué de pousser avec ces étranges formes. 

Pendant des années ces arbres ont fourni du bois aux hommes en restant debout. Les paysans avaient pour habitude de se confier à l’écorce en coupant les branches, de donner à l’arbre un peu de leur vie, de leurs secrets en échange.Tu vois tous ces trous, comme des yeux, ce sont de parfaits nichoirs pour les oiseaux, les chauve-souris, ou les petits mammifères, mais c’est aussi par là que s’écoulent les anciennes histoires, mille sources vives pour abreuver l’ignorant assoiffé.

Alors Arthur s’approche d’un tronc troué à sa hauteur, s’assure que la cavité n’est pas habité puis y colle son oreille. Il entend quelque chose, quelque chose qui ne parle pas  sa langue. Il regarde le Vieux avec des yeux ronds.


- Je comprends rien

- Ce doit être du basque dit le vieux. Dis à l’arbre que tu ne parle pas basque, dis lui dans quelle langue tu veux qu’il te parle, les arbres parlent toutes les langues.

- Moi aussi un jour je parlerai toutes les langues. Papa et maman, ils en parlent quelques unes, moi j’en parlerai encore plus, j’en ferai collection, pour pas qu’elles disparaissent.

Hé l’arbre, tu peux parler en français, ou en anglais, comme tu veux.

Et l’arbre parle:

- C’est Jean, j’ai douze ans. C’est moi qui coupe aujourd’hui, papa a pris la mer, l’est parti pour le Canada, ne sait quand reviendra. Y ont voulu prendre Fanette hier. Y ont dit qu’elle était sorcière, qu’il fallait la juger et après la brûler. J’sais bien que c’est pas vrai. Je s’rai jamais comme eux. Savent pas parler aux plantes, ils inventent des histoires pour commander. Y a qu’mon cœur qui commande. La Fanette, je l’ai cachée. J’ai rien dit , à personne. Si j’étais pas si petit, j’la marierais.


Arthur s’écarte de l’arbre, se demandant s’il doit répéter à son grand-père ce qu’il a entendu.

Le Vieux, devinant ses pensées, fait un léger chut, le doigt sur les lèvres.

Et ils reprennent leur route vers le sommet.

À la lisière de la forêt, quand la pente devient plus raide, couverte d’herbe et de pierres, Arthur cueille un arbre minuscule, une jeune pousse qui n’a pas encore fait connaissance avec la montagne. Il la prend toute entière avec la racine.

Je vais le planter dans le jardin, dit-il,  et puis je le taillerai, je le ferai têtard, et lui dirai mes secrets.

Le vieux prend son mouchoir, y met un peu de terre qu’il humidifie avec l’eau de sa gourde et enveloppe l’arbuste.


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