lundi 4 juillet 2022


Peter Brook

(Les Bouffes du Nord)

(Vaucresson, 9h)


Un regard bleu intense, espiègle, un bonjour coloré d’un accent anglais au charme indémodable,

au théâtre des Bouffes du Nord Peter Brook saluait tout le monde jusqu’au moindre ouvreur dont il connaissait le prénom.

C’était en 1977, nous avions joué dans ce théâtre  Prends bien garde aux Zeppelins de Didier Flamand. C’était ma première fois. Je n’avais du théâtre qu’une profonde intuition et un désir sauvage. Ma seule formation consistait en cet atelier à la  faculté de Jussieu avec Didier Flamand et Jean Luc Terrade, atelier qui m’a conduit à participer cette année là aux spectacles de Didier(Prends bien garde aux Zeppelins) et Jean-Luc( Select Hotel) aux Bouffes du Nord.

C’était une époque débridée, j’allais où l’on bousculait les conventions. Ce théâtre était le lieu idéal. C’était un théâtre à l’italienne qui était longtemps resté à l’abandon. Peter Brook l’avait investi et gardé quasiment en l’état. L’artifice des ors et rouge velours avait disparu, ne restait que la vie brut que dessinent les peintures écaillées.

Après le spectacle de Didier, j’étais resté travailler dans ce merveilleux théâtre. Durant trois saisons, j’y ai pratiqué tous les petits métiers, ouvreur, caissier, contrôleur, réceptionniste, barman et régisseur plateau.

Nous étions une bande de jeunes comédiens embauchés à l’accueil des spectateurs. Nous refaisions le monde et rêvions à de grands projets sur les marches du théâtre. Jean-Claude Carrière nous avait même un jour proposé une grange de sa maison de campagne comme lieu de répétition.

Chaque soir, je regardais le spectacle jusqu’au bout. J’étais comme un oisillon au bec grand ouvert. Je me souviens de chaque détail D’Ubu Aux Bouffes. Quand je pense à tous les spectacles de Brook que j’ai vus, la première sensation est celle d’une respiration et de l’immensité, de l’espace et de l’âme.

Un soir, c’était pendant la Conférence des Oiseaux, je croise Peter Brook dans le couloir. Il  me demande avec son habituelle délicatesse de lui porter un sandwich et un verre de vin dans son bureau. C’était le moment, en tête à tête, j’allais pouvoir  lui dire toute mon admiration, à quel point l’essence de son théâtre me touchait. Je frappe, j’entre, il était en train de travailler avec quelqu’un. Merci beaucoup Pierre, posez ça là, me dit-il avec cette voix douce et chantante immédiatement identifiable. Bien sûr je n’ai rien osé dire, j’étais bien trop timide et maladroit.

Côtoyer Peter Brook et son équipe durant trois saisons fût sans doute l’une de mes plus belles formations.

Nous étions sur la route, avec Sophie ma compagne quand nous avons appris sa mort.

C’est en 1977 au Bouffes du Nord que j’ai connu Sophie, elle distribuait les programmes au premier étage quand je contrôlais les billets au rez-de-chaussée.

Je dois beaucoup au Théâtre des Bouffes du Nord.

J’entends à la radio dans une rediffusion d’interview, Brook trouvant  le mot « disparition » , concernant le décès de Jean-Claude Carrière, inapproprié. Jean-Claude est toujours présent dit-il, il n’a pas disparu, il s’en est allé, simplement.

Puis parlant du grand âge et de la fin: C’est comme ça.

Bon voyage Monsieur Brook et merci infiniment.


2 commentaires:

  1. Pas mieux pour ma part que ces mots justes. Ce nest pas une surprise bien sûr, mais oui, une part de notre jeunesse s'en va avec lui

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  2. I loved yours and Arnaud's tributes and memories of this man.

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