Grand-Mère la Terre
(Hendaye,12 décembre, 17h 20)
Les pieds dans l’eau Grand-Mère La Terre frissonne de joie
Un rituel
(Hendaye, 17 décembre, 8h 35)
L’école est à 200 m de la plage. Elle ouvre à 8h 30. Chaque matin une fillette et sa mère viennent voir la mer juste avant l’ouverture des portes. Elles arrivent vers 8h 15, restent une dizaine de minutes en silence face à l’océan, un rituel, jamais plus de dix minutes, il ne faut pas être en retard à l’école. Ce matin les couleurs du ciel sont telles que la fillette applaudit à tout rompre, et la mère regarde le ciel et sa fille sans voir le temps passer.
L'homme à tête de vache
(Sur les pentes du Jaiskibel, au dessus d’Artzuportu, Pays-Basque espagnol, 14h 25)
Le ciel est clair, l’air est vif, je suis le sentier côtier du Jaiskibel, de partout l’eau coule le long des pentes, un pan entier du sentier s’est effondré, il faut remonter, passer plus haut, se frayer un chemin dans les fourrés. J’aime les détours obligés, on y fait des découvertes, de nouvelles rencontres. J’arrive au dessus du Port d’Artzu, une crique étroite ouverte par un ruisseau qui jaillit dans une bambouseraie au pied d’un grand rocher. J’affectionne ce lieux, ce petit bout de lointain. La pierre sombre, les bambous, quelques très vieux platanes, une minuscule plage de sable blanc incitent à la rêverie. C’est la première fois que je viens d’en haut, en suivant l’eau qui cascade. En bas je surprends un homme en train de laper l’eau du ruisseau. Un homme avec une tête de vache, un long mufle, de grande cornes parfaitement symétriques. Il porte un pull jacquard et un short d’où dépassent de maigres jambes et derrière une courte queue dotée d’un épais toupillon. À mon approche, il se lève et me salue. Il parle lentement, chacune de ses phrases précédée d’un long MMMMM.
MMMM bonjour. Tu es le premier homme que je rencontre depuis des siècles. MMMM Les dernières tempêtes et et les pluies torrentielles m’ont chassé de mon trou. Je suis un fils caché de l’égyptienne Hathor. MMMM Je dormais dans un sarcophage enfoui sous le sable de la vallée des rois quand un trafiquant d’antiquités m’a enlevé. Nous avons traversé la Méditerranée, franchit le détroit de Gibraltar, remonté l’Atlantique vers le nord. MMM le navire a fait naufrage dans le Golf de Gascogne, les vagues et les courants m’ont déposé sur cette côte escarpée. Depuis je vis ici dans un trou de roche, à l’écart des hommes et des dieux. MMMM j’attendais quelqu’un qui parle aux arbres et aux rochers…
La corde sur l'étagère du haut
(Hendaye, 17h 10)
C’était un jour pour se pendre, le ciel qui pèse, la lumière qui peine, les nouvelles qui bégayent, les douleurs qui reviennent. Il s’est souvenu qu’il avait ce qu’il fallait, dans la grande armoire du salon, sur la dernière étagère. Quand il a ouvert l’armoire, le soleil a troué le ciel, tracé un trait sur la plage, jusqu’aux maisons, jusque chez lui, jusqu’à la corde sur l’étagère du haut. Il a vivement refermé l’armoire.
Ford Falcon Station Wagon
(Hendaye, 16h 15)
Ça a soufflé dur samedi et dimanche, j’ai jamais vu ça me dit Paul.
La tempête a charrié du bois. Une partie reste en haut de la plage, l’autre s’en va avec la marée. Nous surfons entre des billots à fleur d’eau.
Ce matin j’ai cru voir des bois de cerf dans la laisse de mer. Un bref instant, vision de troupeaux emporté par les flots. Ce n’étaient que des branches parmi d’autres, et pourtant…
À 16 h la houle a baissé, le paysage a les lignes et les chromes d’une bagnole, une Ford Falcon Station Wagon noire de 1963, qui trace à rebours avec les planches qui dépassent à l’arrière.
La dot
(Forêt de Rambouillet, 20 novembre, 12h 25)
Quand il vint faire sa demande en mariage, le père avait hoché la tête et dit à sa fille: Montre lui. Elle l’avait pris par la main et l’avait conduit à une cabane dans un bois serré et clôturé de grillage. Voilà ma dot, avait-elle dit, une cabane et quelques feuilles. Quand il pleut le toit fait un joli bruit, avait-elle rajouté. Il avait répondu : Moi aussi j’aime la pluie. Ils se sont mariés un jour de giboulées. La robe était modeste, celle de la mère reprise à sa taille, la cérémonie fut sans éclat, le curé n’aimait pas ces gens qui allaient nus pieds et ne se confessaient jamais, le repas fut frugal et les convives rares et rébarbatifs, on était en période de disette et la moitié des gens du pays étaient partis chercher une vie meilleure. Mais la nuit de noce sous le petit toit de tuiles dans le bois zébré d’éclairs et bousculé par le vent fut sublime.
Le Ponton
(Sundbyholm, Lac Mälar, Suède, 15 juillet 2016, 17h 45)
Ça sonne creux sous le ponton, clapot et talons des chaussures qui vont au bout. Le bout du ponton, une fin ou un début, c’est selon.
Il venait là dans les bras de sa mère, attendre le père, guetter la barque, blotti contre ce corps inépuisable dont le parfum calme l’inquiètude.
Il venait là aux premiers jours d’été, plonger dans l’eau froide avec les gars et les filles, s’étendre sur le bois chaud, chercher comment dire je t’aime.
Il venait là solitaire, guetter l’apparition du Kraken.
Il venait là avec ses enfants, prendre le large dans la vieille barque, faire connaissance à grand coup de rames.
Ça sonne creux sous le ponton, le clapot et la canne qui tape jusqu’au bout.
Toujours il vient là, regarder, juste ça.
Un môme chagrin
(Mazères-sur-Salat, Haute-Garonne, 20 septembre 2017, 15h 05)
Ses parents ont gueulé: Fiche le camp, faut qu’on discute. Savait pas si c’était pour baiser ou se cogner. Ce qui est sûr c’est que ça aller durer et qu’il passerait encore la nuit dehors. Il a pris sa balle et s’est tiré à l’ancienne usine près de la rivière. Il a commencé à la faire rebondir contre les cuves rouillées. C’est comme ça dans les films, quand il y a un môme chagrin, il fait rebondir une balle, c’est répétitif et ça résonne. Il en a eu vite marre, il a balancé sa balle dans la rivière, il l’a regardé partir avec le courant, sa balle jaune dans l’eau noire. Après, il a compté les rivets sur la tôle. Quand il en a eu marre, il a regardé tourné l’ombre de l’ergot métallique sur la plaque. Il s’est endormi avant que l’ombre ne disparaisse.
Sur la rivière Mataroni
(Rivière Mataroni, Guyane, 8 mai 2010, 16h 50)
Je reviens sur les chemins, je reviens sur les images, je reviens sur les histoires, je creuse la mémoire. Aucune nostalgie. Aller voir à nouveau comme polir une pierre ou un bois précieux. Tant de choses nous échappent. Enfant, j’avais cette joie de fouiller dans les greniers. J’ai maintenant mon propre grenier.
Nous sommes sur la pirogue de Christophe amarrée à un bois tombé sur la rivière Mataroni. Le moteur est relevé, nous lavons notre vaisselle et nos vêtements. Ici, la rivière est propre, pas encore polluée par le mercure des orpailleurs. Pourtant Christophe est armé, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre. Le lendemain, avant de partir en excursion en pleine forêt, Christophe cachera la pirogue au fond d’une crique sous les feuilles, le moteur un peu plus loin, la pagaie ailleurs. Nous nous taisons. On n’entend que l’eau qui coule des assiettes rincées et du linge essoré, et la jungle, insectes, oiseaux, singes, grenouilles. La rivière respire, une brume légère au dessus de l’eau. Tout autour, des parois végétales, mouvantes, terriblement attirantes. Mes yeux se plissent à fouiller les frondaisons dont j’ignore toujours le secret des années après. L’intuition d’en faire partie.
Ce soir je cherche encore dans le noir de la photo, ce qui nous lie.
Le Rouge-gorge
(Vaucresson, 14h 40)
Je ramasse les feuilles dans le jardin. Immédiatement le Rouge-gorge arrive à l’affut des friandises que dévoile le râteau. Il sait qu’en ma présence il n’a rien à craindre des chats. Je pose le râteau, je regarde l’oiseau voleter de ci de là, j’écoute son timide pépiement. Une heure plus tard, l’oiseau s’en va, le râteau est toujours là. Il serait peut-être temps de se mettre au travail.
Métamorphose
(Forêt de Marly-le-Roi, 22 novembre,11h 45)
Je cours dans la neige. Je ne sens pas le froid. Je pressens l’ébauche d’une métamorphose. Mes chaussures me gênent, mes dents me démangent. Trois chiens viennent vers moi, nous nous immobilisons, face à face, ils me fixent, en silence, ni aboiement, ni grognement. Je peux me joindre à la meute.
Cache-cache
(Forêt de Rambouillet, 20 novembre,14h55)
Fougères et bouleaux, pour se cacher. Un bruit furtif, froissé, quelque chose a filé sous les feuilles. Pas eu le temps de voir, juste celui d’imaginer, un enfant sauvage dans le tunnel de fougères. Il n’a pas peur, il veut juste jouer à cache-cache, il est là, prêt à bondir, à faire bouh! Un enfant sauvage, qui me ressemble.
Un rendez-vous
(Roquemaure, Gard, 8h 15)
Hier, j’ai pris la route pour un rendez-vous à Avignon. En voyant tous ces rapaces posés sur des piquets de clôture le long de l’autoroute, je me disais qu’ils attendaient notre disparition, disparition qui semble inexorablement se rapprocher.
Ce matin, en avance pour mon rendez-vous, je me suis arrêté au bord d’un bras mort du Rhône.
Le soleil montait dans le matin frais, une brume légère floutait le dessus de l’eau, une Grande Aigrette m’attendait, là. Je me suis tenu un bon moment le cou tendu face à elle entre ces rives boisées d’un autre âge. Je me sentais incroyablement vivant. Et si c’était elle, avant toute chose, avec qui j’avais rendez-vous?
L'or
(Forêt de Rambouillet, 20 novembre,12h 40)
C’était en Guyane, il y a quelques années. Nous avions marché hors layon la journée entière, traçant le sentier à la machette. Avec Éric, j’étais en bonne compagnie, il vivait ici depuis bientôt dix ans et avait appris à faire corps avec la forêt vierge, avec lui impossible de se perdre, du moins le croyais-je. Ce n’était que mon deuxième séjour dans cette région qui m’a fait tomber en amour, j’avais tout à apprendre. Nous bivouaquions sur un inselberg, une tête de granit au crâne chauve surplombant la forêt, la forêt à l’infini d’où s’élevaient ici et là les vapeurs des pluies de l’après-mdi. La nuit venait, le chant des grenouilles s’amplifiait, nous sommes restés un long moment muets, attentifs et muets.
Éric m’a alors raconté sa première nuit en forêt avec son père, en Ariège:
« C’était en automne le jour de mes douze ans. J’ai suivi mon père à la chasse. Je n’avais pas de fusil bien sûr, mais j’avais un bâton, un couteau pliant tout neuf et surtout le droit de suivre les grands. Nous avons fait halte dans une cabane de chasseur abandonnée depuis longtemps. La porte était dégondée, les carreaux de la seule fenêtre cassés, un broc et une roue de vélo étaient accrochés à un mur couvert de toiles d’araignées. Mon père a commencé à cueillir des fougères pour balayer le plancher et nous confectionner une couche. Quand j’ai voulu l’aider, il m’a dit: Ne cueille que celles qui sont ternes et sèches, épargne l’or. »
Pas très loin, des singes ont hurlé. Éric a rajouté:
« J’aime ce pays à la folie. La seule chose qui me manque, c’est l’automne. »
La beauté d'un cauchemar
(Forêt de Rambouillet, 20 novembre, 11h 55)
Je reviens souvent sur les mêmes chemins, j’y ai mes repères, mouvant au gré des saisons. Sur celui-ci, il y a le bois de bouleau, la Roche du Curé, l’arbre à rendez-vous, la cabane verte et bleue, la mare aux Canets, le Broussin, ou l’arbre engrossé, le carrefour du Milieu, la Gorgone, ou l’arbre mort. Ils ont leurs histoires qui font de ce chemin le mien, un sentier que je partage avec bonheur*. Mercredi dernier, un nouveau repère m’est apparu dans un rayon de lumière. Au bord du trou de la Roche du Curé, face à la pierre, un arbre enfantant des monstres rampants, la beauté d’un cauchemar.
* Post des 28/02/24, 27/02/24, 19/02/24, 17/02/24, 11/12/21, 17/02/21, 16/02/21, 13/02/21, 12/02/21
S'abreuver de beauté
(Forêt de Marly-le-Roi, Yvelines, 11h 05)
Marcher encore
S’abreuver de beauté avant que ne fonde la neige
Les jeunes arbres s’inclinent sous le poids, ils se redresseront.
Le vent secoue les branches hautes, la forêt s’ébroue comme un chien fou
Une meute menée par un Husky de Sibérie coure sur le sentier
Sophie chante « Les loups sont entrés dans Paris » de Serge Reggiani
S’abreuver de beauté avant que…
La neige
(Bois de Saint Cucufa, 15h 15)
Hier nous marchions sur et sous l’or des feuilles, puis le vent a soufflé, et la neige est venue, discrète dans la fraicheur du matin puis à gros flocons à midi. Nous avons applaudi, comme des enfants impatients, et nous sommes allés à Saint-Cucufa écouter nos pas dans la neige vierge.
Un canto
Variations sur le marigot avec éclats de bois, d’herbes et de ciel, en réponse au merveilleux spectacle* d’Alessandro Sciarroni, U. (un canto), un chœur de 7 femmes et hommes (Raissa Avilés, Alessandro Bandini, Margherita D’Adamo, Nicola Fadda, Diego Finazzi, Lucia Limonta, Annapaola Trevenzuoli) célébrant a cappella l’amour et la nature avec des chants adaptés de la tradition italienne, spectacle d’une intense et nécessaire douceur.
L’un des chants: Mais où allez vous?
Mais où allez vous, mais où allez vous
si vous n’avez pas de cœur?
Que cherchez vous, que cherchez vous
si vous n’avez pas de mains pour rêver
Mais où allez vous, mais où allez vous
si vous ne savait pas aimer?
À quoi pensez vous, à quoi pensez vous
si vous n’avez pas de voix pour chanter?
Paroles et musique Bepi De Marzi
*Spectacle vu à la maison de la musique de Nanterre le 9 novembre dans le cadre du festival d’Automne