L'Aigrette Garzette
(Kourou, Guyane, 5 avril 2019,10h 35)
Pour l’exemple
Dans la fange
L’élégance de l’Aigrette Garzette
Michel.e
(Blois, Loir-et-Cher, 13 février, 12h 25)
Il s’appelle Michel. Il aurait bien rajouté un e à son prénom, mais il n’est pas prêt. Il garde ses secrets. Pourtant il faudrait. Briser la façade tant qu’il y a encore un minimum de tolérance. Le vent tourne et ça le chagrine. Il ne montre rien, il reste droit dans son uniforme de policier municipal, le visage fermé. On ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il est extrêmement rigoureux, que jamais le pli de son pantalon ne fait défaut. Michel passe ses journées dans un étroit bureau devant des écrans reliés aux caméras de surveillance de la ville, la ville où est né le magicien Robert Houdin, la ville où l’artiste Ben a crée La Fondation du Doute. Michel a d’ailleurs tendance à concentrer son attention sur le secteur du château où se trouve la maison de la magie et quelques panneaux indiquant la Fondation du Doute qui se trouve plus loin. Il a surpris un jour un homme en train de voler l’un de ces panneaux. L’homme identifié rapidement grâce à la vidéo de surveillance a dit pour sa défense qu’il avait volé l’écriteau pour être sûr de ne pas se perdre. Le panneau a été restitué, l’affaire a été classée, l’homme et Michel sont devenus amis.
Aujourd’hui, il y a quelque chose qui cloche. La caméra n° 3 fixée sur un mur sale, à côté d’un réverbère au dessus d’une porte numérotée 4 à laquelle on accède par un petit escalier, surveille les grandes marches qui mènent à ce mur et repartent à angle droit vers le château après ce premier palier. Toute la journée Michel a vu des gens monter, s’arrêter sous le réverbère, frapper à la porte après un rapide coup d’œil alentour, et entrer. Aucun n’est ressorti. À seize heures, c’est son ami l’homme au panneau, l’homme qui craint de se perdre, qu’il voit entrer. Michel a demandé à son collègue de nuit de lui laisser la place. Ce n’est pas la première fois, on est souple avec le règlement au commissariat, très souple, la combine fait partie des mœurs policières, ça tombe bien, il y a un match de Rugby à la télé et le collègue est accroc, il sera mieux devant son écran géant avec chips et cannettes. Michel reste la nuit entière les yeux fixés sur l’escalier. Caméra trois, écran trois, les yeux qui piquent à force de regarder et personne ne sort du numéro quatre.
Le lendemain Michel appelle son ami. Personne. Il va au numéro 4 en haut des grandes marches. Il cherche une autre issue pour ce bâtiment. Aucune. Juste une fenêtre, de l’autre côté, très haute.
Quand il reprend son service, il vérifie les enregistrements précédents. Jamais personne ne sort tandis que d’autres encore sont entrés. En visionnant les enregistrements, Michel réalise que hormis son ami, il ne reconnait personne de sa ville. Pourtant il en connait du monde, il est discret mais très observateur. Mais là, que des inconnus, qui entrent et qu’on ne voit plus, plus jamais.
Après plusieurs jours sans nouvelles de son ami, après avoir vu encore d’autres étrangers entrer au numéro 4 sans en ressortir Michel se décide à aller frapper à cette porte. Peut-être un passage vers un autre monde? Le nôtre part à vau-l’eau. Michel pense à son ami, Michel se sent fébrile, Michel écrit un mot pour son collègue qui viendra prendre la relève: Je suis allée au numéro 4 du grand escalier. Si je ne reviens pas travailler demain, ni après demain visionne les enregistrements de la caméra n° 3, Michèle.
Michèle, avec un e. Ainsi a signé Michel avant de disparaître.
Art moderne ou Art contemporain
(5 février 2023,18h40)
Impossible de me souvenir où j’ai pris cette photo. Je ne me souviens que de la joie de découvrir encadré sur ce mur un chef d’œuvre d’art contemporain*.
Art contemporain ou Art moderne, j’ai longtemps hésité à classifier cette œuvre, le style m’aurait fait pencher pour de l’art moderne mais la date de fabrication de la poignée de la vanne me fait préférer le contemporain (Un spécialiste pourrait-il m’éclairer?).
Présents
.
(Forêt de Rambouillet, 21 février, 16h)
Chaque jours la forêt offre son lot de présents au regard amoureux. Là-bas c’est la courbe blanche d’un arbre au bord du sentier, plus loin sur un tronc une palette de couleur qui se détache du gris des branches nues et du brun des fougères et feuilles sèches, ou encore le reflet d’un arbre tombé dans l’étang, présents qui apaisent, réjouissent et donnent confiance, jamais la forêt ne déçoit. Ses merveilles nous révèlent et nous relient.
Alien
(Forêt de Rambouillet, 21 février, 16h 40)
Le soleil est voilé, l’air est doux, je suis l’un de mes itinéraires favoris en forêt de Rambouillet. Dans les creux la terre est gorgée d’eau. Un ruisseau coupe le sentier. Impossible de passer à gué, trop d’eau. Je m’écarte du chemin, je longe la rive, je cherche un passage, je suis une autre piste, je m’égare. Arbres au sol, branches cassées, les derniers mois ont été rudes, les repères sont brouillés. Je finis par tomber sur un sentier plus large qui j’en suis sûr rejoindra l’itinéraire initial. C’est là que je vois pour la première fois cet arbre alien. Ses étranges formes me réjouissent, pourtant, malgré la douceur de cette journée et la bienveillance de ces bois, je ne puis m’empêcher de penser aux monstres dont nous avons accouché…
Au fil de l'eau
(Chaumont-sur-Loire, 13 février,10h 05)
C’est l’hiver. Le fleuve est haut. Les pluies sont de plus en plus denses. Les barques à touristes restent amarrées. Même au printemps on ne se promène guère. Les fascistes sont au pouvoir depuis trois ans. On a moins le goût ni les sous. Dans les bibliothèques on a fait le tri, livres au pilon, personnel licencié. Ambroise s’est retrouvé à la rue. Il venait de passer les plus belles années de sa vie entre les rayons d’une bibliothèque municipale. On l’a mis à la porte sans préavis, motif: esprit non conforme. En partant, il a sauvé un livre, Walden où la vie dans les bois de Henry David Thoreau. Il est allé le relire avant qu’on lui confisque, caché sur une barque cabane. Quelqu’un l’a vu monter et a menacé de le dénoncer. Alors il a coupé les amarres. Le courant les a emportés, la barque cabane, lui et son livre. Le courant puissant d’un fleuve en crue. Il restait dans l’obscurité de l’abri, rideau tirés, porte fermée, son livre serré contre lui, espérant que des berges, on ne verrait là qu’une barque cabane abandonnée, à la dérive, sans passager. Au bout de quelques jours la barque s’est échouée sur un banc de sable dans une zone désertique. Un léger choc, un frottement puis l’immobilité. Ambroise a attendu un long moment avant de mettre le nez dehors. Il y avait là des dizaines de barques cabanes échouées, et des hommes et des femmes munis de livres, se regardant, inquiets, étonnés, tous une lueur d’espoir dans le regard.
Lianes
(L’île de la Folie, entre Chaumont-sur-Loire et Rilly-sur-Loire, Loir-et-Cher, 13 février, 10h 30)
La liane se courbe, serpente, bifurque, s’accroche et grimpe, sa fantaisie adossée au tronc épais.
Je me souviens des brins de lianes que nous fumions enfants dans des terrains vagues où nous jouions aux grands et de Tarzan volant de liane en liane dans ces bandes dessinées bon marché que je dévorais.
Je me vois d’abord minuscule, lassé de l’humanité, en équilibre sur la mousse, puis accroché aux fibres grimper vers la lumière, plus haut, plus loin…. Et puis non, je serais Tarzan jaillissant des bois, hurlant, brandissant un lasso de lianes, saisissant au cou Trump et consorts pour nous en débarrasser une fois pour toute…
Le Zango
(Macouria, Guyane, 12 avril 2019, 17h 55)
Nous dinons ce soir au Zango, rue du Cygne dans le 1er arrondissement.
Le Zango, l’arbre du voyageur, l’arbre providentiel, variété de bananier en éventail. L’orientation sur un axe est-ouest de ses branches et l’eau dans les écailles de son tronc ont sauvé la vie à plus d’un voyageur égaré.
Avec Florence nous parlons des dictateurs, de l’argent qui brûle tout sur son passage, de la résistance, de la lutte armée, de la fin d’un monde, des forêts, de survie, de la confiance perdue comme un oiseau sans une branche où se poser, de la difficulté d’envisager l’avenir.
Le constat est terrifiant, mais nous sommes heureux de nous retrouver, nous buvons, nous mangeons, la conversation se fait plus légère. Le Zango est un bel endroit.
Et Florence nous raconte cette histoire, un souvenir de jeunesse, un souvenir d’Italie. Il pleut des trombes, c’est le soir, elle marche sur le trottoir, elle marche sous la pluie, tête baissée, une voiture s’arrête à sa hauteur, un homme descend, il laisse sa voiture au milieu de la rue, derrière ça klaxonne et ça gueule, à l’italienne, l’homme ne dit rien, il ouvre un parapluie et accompagne Florence en silence un bout de chemin en la protégeant de l’averse, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il a laissé sa voiture au milieu de la rue et fasse demi tour.
La beauté d’un geste, un geste sans attente de retour, le temps d’une histoire nous oublions les monstres au pouvoir.
L'île de la Folie
(L’île de la Folie*, entre Chaumont-sur-Loire et Rilly-sur-Loire, Loir-et-Cher, 10h 20)
Une vieille dame échevelée, les pieds dans l’eau, un manteau couvert de perce-neige, des bêtes sauvages plein la tignasse et plein les poches, une vieille dame mal coiffée qui chante avec les oiseaux, qui chante la liberté quand l’eau file entre ses doigts de pied.
La chute du ciel
(Saül, Guyane, 15 mai 2023, 4h 55)
« La forêt est vivante. Elle ne peut mourir que si les blancs s’obstinent à la détruire. S’ils y parviennent, les rivières disparaîtront sous la terre, le sol deviendra friable, les arbres se rabougriront et les pierres se fendront sous la chaleur. La terre desséchée deviendra vide et silencieuse. Les esprits xapiri qui descendaient des montagnes pour venir y jouer sur leurs miroirs s’enfuiront au loin. Leurs pères, les chamans, ne pourront plus les appeler et les faire danser pour nous protéger. Ils seront incapables de repousser les fumées d’épidémie qui nous dévorent. Ils ne parviendront plus à contenir les êtres maléfiques qui feront tourner la forêt au chaos. Nous mourrons les uns après les autres et les blancs autant que nous.Tous les chamans finiront par périr. Alors si aucun d’entre eux ne survit pour le retenir, le ciel va s’effondrer. »
Davi Kopenawa (La chute du ciel, Paroles d’un chaman yanomami, Davi kopenawa, Bruce Albert, edit. Terres Humaines, 2010)
Le combat des Yanomani, tribu de l’Amazonie brésilienne, pour préserver leur territoire, ne cesse pas. Le film de Eryk Rocha et Gabriela Carneiro da Cunha, inspiré du livre de Bruce Albert et Davi Kopenawa, porte haut leur lutte. Il faut écouter la parole sans détours du chaman Davi Kopenawa, écarquiller les yeux devant ces images parfois sombres et floues, écarquiller les yeux pour sortir de notre cécité. Nous assistons à une fête funéraire en l’honneur d’un chaman, les communautés se retrouvent pour danser et parler. C’est une fin. La fin d’un monde? Parfois le bruit d’un avion perce l’envoutante musique de la forêt. L’orpaillage, les épidémies, la déforestation, la menace est constante. Vers la fin du film des images d’archives interrompent les chants et les danses, avalanches, éboulements, tempêtes, effondrements de bâtiments, archives en noir et blanc, brouillées, puis c’est un long silence, écran noir, puis la lumière à nouveau, gros plan sur une radio, c’est ainsi qu’ils communiquent entre communautés éloignées, quelqu’un annonce une naissance, et reviennent à l’image les danses et les chants, les enfants frappent le sol de leurs pieds nus, une machette se tend vers le ciel. La lutte continue.
Salutations
(Arborétum de Chèvreloup, 1er février, 15h 20)
Cheminant parmi les arbres, je vois dans la forme des branches mille et une façons de se saluer. Ici, on pencherait la tête à gauche et on lèverait haut le bras droit pour l’abaisser d’un geste sinueux accompagné d’un léger mouvement du poignet. Ce que je me suis empressé de faire en croisant une dame chic qui allait bon train le long de l’étang du Héron. Elle m’a répondu en se dressant sur la pointe des pieds, tenant ses bras en cercle au dessus de la tête. Pas de mots inutiles, l’esquisse d’un sourire, et nous continuons notre chemin.
Un dimanche ensoleillé
(Jardin des Tuileries, Paris 1ier, 2 février, 18h 10)
En contrebas la foule est encore dense. Un dimanche ensoleillé après des jours pluvieux, on sort, seul, en couple, en famille, à pied, à vélo, en skate, en patins, en poussette, on sort prendre des nouvelles, ça fourmille sur les quais, dans les allées, autour des bassins, ça fourmille, ça papote, tandis que sous les ponts des hommes et des femmes cherchent un peu de sommeil et de chaleur dans de petites tentes collées les unes aux autres. On sort prendre des nouvelles, on voudrait qu’elles soit bonnes, le regard s’attarde sur ceux qui se tiennent par la main, sur les façades rougies par le couchant, sur les courses tout en déséquilibre des tous petits, on attrape la moindre bribe de joie, mais on ne se fait pas d’illusion, sous chaque pont les tentes sont là, à touche touche.
En espérance
(Arborétum de Chèvreloup, 1ier février, 15h 20)
Le tempo mélancolique d’un pâle paysage hivernal, ainsi bât mon âme après avoir vu ce soir l’hypnotique film de Fredi M. Murer, L’Âme Sœur (1985). Dans les montagnes suisses, à l’écart du monde vivent un couple de paysans et leurs deux enfants adolescents, Le Bouebe, le fils sourd et muet, et Belli, la fille, l’ainée. Le Bouebe est imprévisible, déroutant. Après avoir fâché son père par un acte irrationnel, du moins pour les autres, il s’éloigne quelques jours sur les hauteurs. Sa sœur vient l’y retrouver. La tendresse l’un pour l’autre est telle qu’ils y vivent une nuit d’amour. Belli se retrouvera enceinte et leur père ne le supportera pas. Des acteurs magnifiques, peu de mots, le rythme des saisons, la montagne avec ses pentes raides et ses déséquilibres dans l’image et cette étrange sensation d’une immense liberté autant que d’un monde clos, oui ce film est hypnotique. Mais il y a une chose que je n’oublierais jamais. Ici, dans ce peu de mots, pour dire être enceinte on dit être en espérance. Belli est en espérance, et c’est ce qui mènera au drame.