lundi 8 décembre 2025

 

Les pianos

Une histoire de Rick Delaveine, surfer et batteur de jazz de renommée internationale

(Montreuil, Seine-Saint-Denis, 7 décembre, 12h 25)

C’est dimanche. Il pleut. La pluie le dimanche, ça mouille un peu plus. Rick s’est habillé comme un inspecteur des années soixante, chapeau mou et imperméable serré à la ceinture. L’eau goutte sur les bords du chapeau, l’imperméable n’est plus très imperméable, Rick a les épaules humides, il a froid. Il pense à sa mère qui s’emmerde dans un EPHAD. Elle est sourde comme un pot et perd la boule. Même pas sûr qu’elle regarde la pluie tomber. C’est joli une vieille dame qui regarde la pluie tomber, la dessus tu mets les variations Goldberg jouées par Glenn Gould et c’est parfait. Sauf que sa mère elle ne regarde plus par la fenêtre depuis longtemps, elle ne veut même plus sortir, et Rick c’est pas ça qui va le réchauffer. Il ne pouvait pas faire autrement, il est tout le temps en tournée, sa mère ne pouvait plus rester seule. Il est là à s’en vouloir sur le trottoir quand une voiture l’éclabousse en passant. Hé merde, trempé comme un surfer, sauf que là il est habillé des pieds à la tête et c’est pas dans un caniveau du Neuf Trois que tu vas surfer. 

Il entre dans le premier bistrot venu histoire de se mettre au sec et de siroter un cocktail qui crame le frisson. Les Pianos, ben ça, c’est le nom du bistrot, une ancienne fabrique de pianos, il ne pouvait pas tomber mieux. Il n’y a pas grand monde, deux africains au bar qui boivent leur café en silence, une fille qui n’a pas fini sa nuit, elle a la voix rauque et le cheveux fripé, le patron bedon droit devant  qui a bien besoin de causer, et dans un coin une autre fille à la peau blanche qui allaite un bébé goulu. Et là, le choc, au fond du bistrot, en gros carton découpé, une gamine au piano, le parfait portrait de sa mère à 13 ans. Et des souvenirs, une averse de souvenirs, qui reviennent en trombe: lui sur sa chaise haute du chocolat plein la face, sa mère qui joue du piano en le regardant d’un air effaré, et son père affalé devant la télè à regarder des courses de chevaux, ou cette autre fois, il a douze ans, sa mère pique une crise parce  que son père a vendu le piano après avoir perdu au jeu, ou encore, il a seize ans, son père s’est refait, on livre un piano crapaud, le piano est coincé dans l’escalier avec l’un des livreurs dessous qui gueule comme un âne… 

Et là, soudain, il boue, ça frémit de partout, il a les épaules qui fument. Il regarde autour de lui, le patron n’est plus là, la seule personne qui le regarde, c’est la fille avec son môme accroché. Il prend le grand carton découpé avec la pianiste et son piano et se tire vite fait sous la pluie.

Voilà notre Rick trempé jusqu’au os mais le cœur au chaud qui file entre les gouttes dans la rue mouillée avec son imper, son chapeau et la fille au piano sous le bras. Il file voir sa mère.

1 commentaire:

  1. No tengo palabras para comentar tu narración sobre el pobre Rick. Me gustó mucho como lo contaste y la historia me parece tan, tan , tan bonita y emotiva. Un verdadero placer. La foto es una maravilla amigo.
    Un abrazo

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