Cailloux
(Les Enfrux, Aveyron, 9 juin)
Elle s’appellerait Suzanne. Il la trouverait un soir endormie devant la porte, le dos contre le bois, la tête penchée, les jambes repliées, les mains sur les cuisses, des mains blanches, offertes. Un visage doux, deux petites joues rondes à croquer, un sourire, les paupières légèrement tombantes, marque des chagrins anciens, une égratignure au dessus de la lèvre, sans doute le coup de patte d’un jeune chat. Elle porterait une robe de coton rouge à pois blancs, des godillots noirs, un gilet de laine jaune pâle. Elle aurait des taches de rousseur, au front quelques gouttes de sueur.
Il revient de la montagne, il la trouve là devant sa porte. Il lui tapote l’épaule, elle ne répond pas, il la prend dans ses bras avec délicatesse, ouvre la porte, la dépose sur le lit. Il allume un feu, met de l’eau à chauffer, prend un bout de tissu propre dans le coffre de châtaignier.
Il humidifie le chiffon et le passe sur le front de la jeune femme. Elle se réveille, le regarde, dit: je m’appelle Suzanne. C’est tout, un nom, le reste est à réinventer.
Il lui dira son nom, Cailloux, Il lui parlera de ses brebis, des loups, des prairies en fleurs, du chant du ruisseau. Il lui apprendra à soigner les bêtes. Ils mangeront des myrtilles, ils auront la langue bleue, ça les fera rire. Elle lui frottera le dos dans la bassine de zinc, il se retournera le sexe dur, il dira: là aussi; ils riront encore.
Il faudra agrandir le lit, descendre dans la vallée acheter quelques étoffes, un deuxième couvert, un vase pour les fleurs. Ils iront danser à la Saint-Jean, il sautera par dessus le feu, elle applaudira, ils rentreront la nuit, elle aura peur sur le chemin, il lui tiendra la main, sa petite main blanche, offerte.
Cailloux, c’est bien comme ça que je m’appelle se dit-il en ouvrant la porte, même s’il n’y a que moi qui le sait. Il pose son bâton contre le mur, s’assoit sur le lit étroit, se déchausse.
Je suis sûr que ça lui plairait à Suzanne, Cailloux…
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