samedi 9 juin 2018


Feu de jardin


 (Saint-Chely-d’Aubrac, Aveyron)

Après une longue marche solitaire dans l’Aubrac - j’aime ces hauts plateaux où rien ne semble troubler la sérénité des vaches - je redescends vers Saint-Chely-d’Aubrac. Sur le sentier bordé de pierres moussues une odeur lointaine de feu de jardin me picote le nez, et la mémoire. Une image apparait immédiatement: Une palissade de piquets de bois gris couverte de liserons. Elle borde le jardin de mon grand-père le long de la Sente de la Folie à Vaucresson, une sente raide parcourue en son centre par une rampe métallique.
Voilà Pierre, mon grand père, nous portons le même nom, qui lentement monte vers sa maison, s’accrochant à la rampe. Il est penché vers l’avant, le béret légèrement rejeté en arrière, l’effort lui fait froncer les sourcils; ou n’est-ce pas plutôt la rage de se sentir de plus en plus faible? Il porte ce pull marron troué par les mégots qui s’échappent de ses lèvres lors de ses siestes.
Ce n’était pas un homme très loquace. L’une des rares choses que je sais de lui c’est qu’il rêvait d’être paysan. Il avait fait fortune en Indochine, était rentré à l’arrivée des japonais et n’avait quasiment plus jamais travaillé. Il gérait ses économies et s’occupait de son jardin.
Je me souviens des groseilliers, des framboisiers, du potager, de la tonnelle de métal rouillé, des groseilliers à maquereaux, que j’appréciais particulièrement, prés de la palissade de bois gris.
Nous parlions peu, n’étions pas particulièrement proches, et pourtant souvent je pense à lui.
Si ce léger parfum de feu de jardin le convoque immédiatement, c’est que nous ne mesurons pas tout ce qui nous est transmis à notre insu. De lui me vient le plaisir de mettre mes mains dans la terre, et sans doute beaucoup plus que cela.
Je continue ma descente vers Saint-Chely en compagnie de mon grand-père. Le chemin est étroit, en sous bois, la lumière est belle, j’entends des sonnailles sans pouvoir distinguer le troupeau entre les branches. Un peu plus tôt j’ai fait quelques jolis photos de vaches, l’une d’elles pourrait accompagner ces pensées, pour celui qui se rêvait paysan.
En entrant dans le village, ma première vision est celle de cet homme alimentant un feu dans son jardin. C’est donc de là que vient l’odeur de végétaux brûlés. Et cette banale image d’un homme occupé à sa tâche devient soudain extraordinaire. Elle s’offre à moi. Mes pensées se déroulant le long du chemin m’ont conduit à elle, une image de maintenant, une image de tout temps.

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