mercredi 26 février 2020


La Pampa


(Saint-Céré, Lot, 20 février)

Dans un minable restaurant de Santa Cruz, un homme un peu seul, un peu ivre contemple la tâche de vin laissée par son verre renversé. Il reconnait cette silhouette, ils ont chevauché ensemble dans la pampa. C’est cet homme au nez fort qui lui a appris à monter à cheval et à manier les armes, mais impossible de retrouver son nom. Il se souvient des étriers de métal gravés, du cliquetis des éperons quand le cavalier s’avançait sous la véranda de l’hacienda.
Il se souvient de sa première chute, de la main de celui qui l’aide à se relever, de la main de celui qui lui montre comment tenir le fusil, une main avec un point bleu sur la paume. Il se souvient du son du galop sur la terre, il se souvient de la poussière dans les plis des vêtement trop grands et encore cette main qui l’époussette rudement. Il se souvient du ciel qui se mêle à la plaine, il se souvient du vent, il se souvient des nuits pleines d’étoiles, il se souvient de la voix rauque de celui qui l’aide à s’endormir. Mais impossible de retrouver son nom.
Alors il redemande du vin. Il verse la carafe sur la nappe de papier, espérant une autre tache qui dira le nom. Mais rien, pas même une initiale, seulement une tache rouge qui s’étale et recouvre la première.
Aussitôt la pampa et le souffle des chevaux s’effacent.
La patronne débarrasse la table, froisse la nappe en une boule compacte, la jette derrière le bar, aide l’homme à se lever, le reconduit doucement à la sortie et le regarde s’éloigner dans l’étroite ruelle.


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