mardi 28 avril 2020


La visite


 (Vaucresson, 26 avril, 11h 10)

Son dos s’arrondit, son pas ralentit, elle ressemble de plus en plus à un escargot.
Il y a longtemps qu’ils ne se sont pas vus. Son fils, son grand garçon comme elle dit.
Il porte un masque, un masque de tissu fleuri qui lui couvre tout le bas du visage.
Elle ne voit que ses yeux, ça le rajeunit, son petit garçon. Elle se lève, papier froissé qui se déplie avec difficulté. Il se dit qu’il y a six semaines c’était plus facile.
Il porte un petit panier avec un brin de muguet, une tablette de chocolat, et un livre d’aventures. Elle aime beaucoup les livres d’aventures.  Il se dit qu’il aurait pu s’habiller tout en rouge. Elle lui demande si sa chemise est en tissu africain, il y a dessus des mini-cars imprimés semblables aux s’en fout-la-mort sénégalais. C’est au Sénégal qu’elle l’a mis au monde.
Elle met un masque. C’est compliqué, le sonotone se prend dans l’élastique, ses cheveux lui tombe sur les yeux après un mois sans coiffeur, le masque glisse sur le nez, le masque tient chaud, le masque empêche de respirer, bref ça l’emmerde.
Ils descendent marcher un peu, faire le tour de l’immeuble. Des plaques de terre craquelée apparaissent sur les pelouses desséchées. Elle dit que c’est une drôle d’époque, qu'elle a fait son temps. Elle est fatiguée, elle prend son bras. Il s’était dit qu’il garderait  la distance, mais il ne peut refuser son bras.
Après être rentrée, elle se lave scrupuleusement les mains. Lui admire sa discipline et oublie de faire de même.
Ils passent un peu de temps au salon, en respectant la distance réglementaire. On parle peu, on se donne des nouvelles  de la famille, on se demande quand on pourra aller à la mer.
Et puis il y a ces mots croisés, ceux du journal Le Monde, les plus difficiles. Verticalement I « On ne le voit qu’au Vatican et sur les planches ». Elle cale. Elle lui tend le journal, ils se rapprochent, ils cherchent ensemble. Il cale aussi. Il dit qu’il n’a pas la pensée adaptée à ces jeux, il se demande d’ailleurs à quoi est-elle adaptée en ce moment. Ce qui est sûr c’est que la distanciation sociale est plus que compliquée.
Il aimerait prendre sa mère dans ses bras. Pourtant ce n’est pas dans leurs habitudes, c’est une famille à rhizomes, les liens sont souterrains. Mais il aimerait vraiment la prendre dans ses bras. Il ne le fait pas.
Au moment de se quitter, ils se regardent. Des yeux d’escargots qui se tendent.



1 commentaire:

  1. I like the way the sunlight hits the snail... Your story has a mood that reminds me of a wonderful author/poet-- a Native American named Sherman Alexie. I just re-read my copies of a some of his short stories. Anger, resignation, laughing.

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