samedi 18 avril 2020


Une île


(Criocère du lys ou lilioceris lilii, Vaucresson, 9 avril, 15h 45)

Mon jardin est une île ceinte de trois murs de meulière attaqués par le lierre et une maison de deux étages.
La mort rôde autour. La mort a toujours rôdé, elle nous suit depuis la naissance logée dans nos ombres. Mais ces temps ci, elle semble plus gourmande, alors nous  ne quittons notre île que pour nous ravitailler.
300 m2. Je l’ai divisée en 300 carrés de  1 m de côté, tous numérotés. Chaque  jour j’explore un ou deux carrés. Quand il y a un arbre dans le périmètre concerné c’est un peu plus compliqué, parfois je grimpe jusqu’à ce que les branches ne supportent plus mon poids, je vois alors au delà des murs et la tentation est grande de m’envoler. Le 25ième jour j’étais dans le néflier sur le carré 13, j’ai sauté, je me suis écrasé dans les primevères. Je dois me satisfaire de ma condition d’homme.
Jamais je n’avais imaginé mon île aussi peuplée, oiseaux, insectes, mulots, chats, certains ne sont que de passage mais beaucoup vivent ici, nous avons le temps de faire connaissance.
Dans le carré 28 j’ai croisé un Liliocéris lilii, on le dit invasif, nuisible. Pourtant il était seul ce jour là, absolument seul, tache rouge comme un nez de clown au milieu de la figure. Il m’a dit venir d’Asie, avoir profité de la mondialisation pour venir jusqu’ici, quelques échanges de lys entre jardiniers d’un bout à l’autre de la terre et le tour est joué. Il m’a promis de se tenir à carreau, conscient de sa solitude, il sentait bien que son histoire de mondialisation n’était pas la bienvenue.  Nous avons sympathisé, j’aime sa couleur. Pendant longtemps ma compagne a porté des lunettes du même rouge, exactement. Voilà, nous sommes devenus amis parce qu’il est tout petit et qu’il me fait penser aux lunettes de Sophie, c’est tout.
Dans le carré 35, c’était un mardi, j’ai  confié mon chagrin à un lyorhissus hyalinus immobile sur l’aigrette d’un pissenlit. Je pensais à mon ami José qui désormais mangeait les pissenlits par la racine, je pensais à José et au rire de sa Cathy, un rire tellement contagieux, plus contagieux encore que ce putain de Covid, sa Cathy sans son José, sa Cathy qu’on ne pouvait même pas prendre dans nos bras. Et si le lyorhissus était une réincarnation apparue sur la tête du pissenlit prêt à s’envoler pour aller chatouiller le nez de Cathy?
Hier, dans le carré 43, j’avais le nez collé depuis déjà un moment sur les fleurs du lilas quand je me suis trouvé face à face avec une punaise diabolique. Elle m’a dit: dégage de mon lilas! Elle brillait au soleil du matin, carapace de samouraï, elle semblait déterminée, têtue comme une bretonne. Je l’ai regardée droit dans les yeux, ses antennes ont tremblé mais elle n’a pas bougé. Je l’ai laissée vivre sa vie de punaise.
Je me suis dit qu’il me faudra une armure de samouraï et une détermination de breton pour le jour où nous pourrons quitter notre île. Il y aura tant à faire!


(Hétéroptère, Rhopalidae, Liorhyssus hyalinus, Vaucresson, 12 avril, 9h)


(Punaise diabolique ou Halyomorpha halys, Vaucresson, 16 avril 10h 20)

1 commentaire:

  1. The red one appears to be very much like a ladybug, but no spots! Oddly, we have been seeing lots of ones like the one in your last picture. I don't recall ever seeing them around here before. Something besides covid is invading?

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