vendredi 26 avril 2024


La faux

(Travaillan, 28 décembre 2015, 14h 50)

L’ancêtre était mort aux champs, tombé raide dans les blés blonds, un filet de sang au coin de la bouche. On l’avait porté à quatre jusqu’à la ferme, il pesait comme un veau bon pour l’abattoir. Restaient les blé couchés par son grand corps et la faux aiguisée pour la journée.

On était revenu le lendemain ramasser la faux. On avait dit: La camarde  l’a oubliée, faut la ranger, plus y toucher, elle ne reviendra pas.

C’est ce que racontait le vieux et la vieille aux enfants. Faut pas y toucher. La faux restait crochée au fond du hangar, la lame rouillée.

Le vieux et la vieille ne pouvaient vivre l’un sans l’autre, ils en étaient à cent deux ans d’amour de rires et de labeur, ils ne marchaient plus très bien, ne voyaient plus très bien, et ne se lâchaient pas la main.

Le voisin bien intentionné qui ne connaissait pas les vieilles histoires a voulu aider. Il a rangé le hangar de fond en en comble, il a décroché la faux et l’a donnée au ferrailleur avec les vieux outils.

Les deux vieux ont trépassé le lendemain main dans la main. 

1 commentaire:

  1. C'est souvent comme ça : une bonne intention, et patatras.

    Bonne nuit à vous, cher Pierre.

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