vendredi 4 octobre 2024


L'arbre pique

(Forêt de Rambouillet, 15h 05)

Sur la route aux vaches, le chemin de Gambaiseuil à l’étang neuf, l’arbre mort, l’arbre pique, dressé comme un totem, est toujours là. Sur ce sentier, je viens souvent chercher la paix, d’un arbre à l’autre, accueilli à Gambaiseuil par quelques vaches Highland dont les larges cornes et la longue toison emportent loin l’imaginaire, à tracer des routes couvertes de bruyères sur les hautes terres, à courir sur les herbes rases, sautant par dessus les pierres, granit gris et moussu, gueulant les noms de mes frères de jeux. Le sentier est sableux, le pas est silencieux, la trace est légère. À l’arbre pique je fais chaque fois une halte, je pose sac et bâton et m’assied au bord des hautes fougères. De l’autre côté du sentier, face à l’arbre pique un autre tronc plus trapu, cerclé de champignons blancs qui grimpent comme une échelle. Au tronc large qui lance une branche dans la pente, je préfère celui qui s’élance raide et pointu blanchi au soleil. Au gré de mes humeurs il peut être crayon pour écrire ses vœux sur le bleu du ciel, il peut être pinceau pour gonfler les nuages s’il faut de la pluie, aiguille en souvenir des pulls  tricotés par la mère qui les passait d’un enfant à l’autre, aiguille de la première boussole du gamin qui se rêve coureur des grands bois, il peut être écharde retirée de la main de l’enfant, il peut être lance du chasseur de bisons, cure dent de Gargantua, il peut être bâton de pèlerin taillé avant chaque départ. Mais aujourd’hui, alors que je tente d’en faire un grigri pour combattre une vieille douleur ( Il y a quelques années la confection d’un grigri m’avait soulagé d’un mal puissant), je ne vois  qu’une tête fichée au bout de cette pointe acérée, une tête sanglante pour toutes ces guerres fratricides, pour cette violence qui nous ronge depuis que l’homme est homme, pour cet éternel mal à côté duquel nos douleurs sont insignifiantes. L’arbre pique a des yeux et une bouche en o. Surpris de ce crâne planté à sa pointe, il s’agite sans rompre et la tête roule dans les fougères. L’arbre pique a des yeux et une bouche en o qui se demande encore ce que faisait là-haut cette tête coupée.

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