La fille au bonnet rouge
Une aventure de Rick Delaveine, surfeur et batteur de jazz de renommée internationale
(Hendaye, 17 décembre 2024, 8h 30)
Rick s’était réveillé brusquement avec une terrible envie de pisser et une érection douloureuse. Il rêvait qu’il survolait la cordillères des Andes dans un biplace Cessna 152 aux flancs jaunes piloté par une fille au casque posé sur un bonnet rouge. L’avion tanguait dans la tempête, la fille chantait Lili Marleen, et les cimes se rapprochaient dangereusement. À l’instant où l’avion allait s’écraser contre un mur noir strié de neige, la fille s’est tournée vers Rick, a dit quelque chose en riant et Rick s’est réveillé, un peu sonné. Il est allé pisser fissa en essayant de se souvenir de ce qu’avait dit la fille. Rien ne venait. Une fois sa vessie vidée peut-être? On ne peut pas pisser et penser à tout autre chose en même temps, surtout quand l’âge venant la miction se fait plus difficile. Il faut faire le vide, c’est alors que vient ce qu’on n’attend plus. Faire le vide. Le voilà soulagé, il tire la chasse qui fait un raffut d’enfer, elle porte bien son nom, Cataracte, le nom de la marque. Ça y est, c’est parti, le voilà qui pense à tout vent, il revoit cette cascade de l’île de la Réunion qui tombait de très haut dans une vasque aux eaux claires, un roulement continu de caisse clair qui résonnait dans la montagne. Faire le vide. Il a pissé, mais il n’a pas les mots de la fille, juste le son de sa voix, une voix grave. Il s’en fout de la cascade, c’était il y a longtemps, quand il pouvait courir douze heures sur les hauteurs sans faire de pause, ce qu’il veut savoir c’est ce qu’a dit la fille avant le crash. Le crash? Peut-être que l’avion ne s’est pas crashé, après tout il n’en sait rien, il s’est réveillé juste avant.
Il était encore tôt. Il s’est habillé, il a enfilé son blouson de cuir, un blouson d’aviateur, et il est allé voir la mer. Ou plutôt le ciel. Il savait à l’oreille, sa fenêtre ouverte, que la mer était calme ce matin là, pas de vague, pas de surf. Lui, ce n’était pas sûr qu’il n’en fasse pas des vagues, cette fille dont il cherchait en vain les mots l’avait retourné, elle trottait dans sa tête comme un rythme de tablas, pas de mots, seulement des onomatopées.
Une mer calme donc, il trouverait son inspiration dans le ciel, un ciel pastel. Les pieds sur terre et la tête en l’air, avec une fille au bonnet rouge dedans.
Et paf! Il n’y a qu’à lui que ça arrive ces trucs là. Il y a une fille avec un bonnet rouge en bas de l’escalier qui descend sur la plage. Elle n’a pas de casque d’aviateur, mais elle a un bonnet rouge. Il se rappelle qu’il y a quelques jours il a vu dans un musée la photo d’un avion allemand crashé sur la plage d’Hendaye pendant la dernière guerre. Il regarde la fille, sans bouger, le palpitant en accéléré. Il descend. Une mouette passe en criant. La fille se retourne.
- Bonjour. Elle a la voix grave, un léger accent, allemand peut-être, une mèche blonde, bouclée, dépasse de son bonnet.
- Bonjour. Beau ciel, n’est-ce pas? Ce sera une belle journée.
- Oui. Je lis l’avenir sur le sable à marée basse, c’est mon marc de café, je lis dans les rigoles, dans les îlots, dans les reflets, dans la laisse de mer, je lis l’avenir à marée basse.
- Et qu’avez vous lu ce matin, si ce n’est pas indiscret?
- Oh, non, ce n’est pas indiscret! Elle éclate de rire, un rire franc et grave. J’y ai vu du bon et du mauvais, comme souvent, j’ai vu des nations qui se refermaient comme des poings, j’ai vu un avion dans la neige avec un gars qui chantait Lili Marleen pour se réchauffer, j’ai vu un tableau de Miro rescapé d’un musée incendié, j’ai vu la marée haute plus haute que prévue et du lierre grimper sur la Tour Eiffel, mais surtout j’ai lu dans les reflets que ce matin à 8h30 j’allais rencontrer quelqu’un.
- Rick regarde sa montre. Il est huit heures trente!
Et soudain il y a cette phrase qui claque comme un magnifique contretemps, cette phrase qu’il cherche depuis ce matin, ce qu’a dit la fille au bonnet rouge avec un casque d’aviateur alors que dans la neige tourbillonnante leur avion semblait aimanté par les hautes parois rocheuses: Il est huit heure trente et nous sommes là!
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