Tango
Au 2 rue Sainte Marguerite, à Sainte Foy-Lès-Lyon, face à la petite chapelle, habite Gédéon. Gédéon était un merveilleux danseur de salon, qui maintenant ne quitte plus sa maison. Il a quatre vingt ans et ne tient plus sur ses jambes. Il dit, avec malice, qu’il a trop dansé.
Chaque matin, il lui faut du temps. S’extraire de son lit, faire sa toilette, s’habiller, il peut encore le faire tout seul, il lui faut seulement du temps. Gédéon est toujours impeccable quand il vient s’asseoir sur son fauteuil Voltaire derrière la fenêtre après deux heures de préparatifs. Les cheveux blancs lissés au gel vers l’arrière, vêtu d’une veste d’intérieur à rayures vertes et bordeaux, chaussé de ses souples mocassins vernis noirs, il s’installe avec gourmandise à son poste d’observation.
Le corps bien droit, caressant du bout de ses longs doigts le bois des accoudoirs, il regarde.
Alors, arrive Gisèle. Chaque jour de beau temps, Gisèle monte jusqu’à la chapelle. Gisèle, c’est un corps, un corps énorme, une image de Botero, un corps qui se déplace lentement mais avec une grâce infinie. Et Gisèle s’assoit sur le banc, ouvre son manteau, découvre ses épaules et un décolleté vertigineux.
Gédéon se voit grain de lumière effleurant l’opulente poitrine, s’entend gémir comme craque le bois sous le vaste fessier. Il voudrait ouvrir grand la fenêtre, mettre un disque de Carlos Gardel et descendre inviter Gisèle à danser. Son corps maigre accroché à cette montagne mouvante, ils danseraient jusqu’au crépuscule sous la statue de la vierge au frontispice de la chapelle Sainte Marguerite…
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