mercredi 17 juin 2020


Un cheval de paille


(Travaillan, Vaucluse, 14h 45)

Ils nous ont dit qu’on pouvait partir
aussi loin qu’on voulait, à condition de ne pas dépasser les frontières.
Quelles frontières? Reclus dans le jardin j’ai rapetissé.
Je passe sous les portes et navigue sur les gouttières.
Je m’éloigne du monde des hommes où l’on s’insulte trop souvent.
Nous sommes partis dans le Vaucluse,
chez des vieux qu’on oublie un peu,
chez des vieux qui ont la mémoire voilée et les oreilles bouchées,
des vieux qui ne sortent plus souvent depuis longtemps.
L’herbe a poussé haute autour de la maison.
J’ai trouvé un cheval de paille
pour prendre le vent en compagnie des papillons.
J’ai rencontré le Mylabre inconstant et le Lipture porte cœur.
Ils m’ont raconté l’histoire de la prairie,
ils m’ont dit de ne pas la garder pour moi.
Il y avait autrefois à la place des herbes sèches
des cerisiers et des abricotiers,
les arbres croulaient sous les fruits, les mains se tendaient
pour remplir les paniers.
La vieille qui n’était pas encore très vieille chantait
et faisait des confitures.
Elle chante encore, c’est ce qu’il reste, le temps des cerises.
Il y avait un tracteur et sa remorque plateau.
Le vieux qui n’était pas encore très vieux conduisait.
Derrière lui cinq petits enfants criaient de joie sur la remorque.
Et avant les deux vieux, il y avait une autre vieille.
Elle marchait pliée en deux d’avoir tant travaillé la terre.
Il y avait dans la maison un cheval, un cochon et des moutons.
Un vrai cheval, pas un cheval de bois ou de paille,
pas un cheval pour faire la guerre,
un cheval pour tirer la fouilleuse et le tombereau,
un cheval avec une grande queue pour chasser les insectes.
Et moi je vais sur mon cheval de paille
cueillir les histoires pour les vieux qu’ont les poches trouées.

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