vendredi 18 février 2022


J'ai laissé mon enfance à Lestole

(Lestole, Saint Alvère, Dordogne, 11 janvier, 17h 35)

C’était en janvier. 

Je suis resté une semaine dans cette maison, à Lestole sur la commune de Saint-Alvère, une vieille maison de pierre sur une colline en bordure de forêt. 

Ce fut une semaine de ciels clairs, de splendides couchers de soleil. Je me sentais bien dans ce paysage, dans cette maison qui me parlait une langue familière.

Il y avait dans la prairie face à la maison, une balançoire accrochée à une grosse branche d’un arbre solitaire. 

Et chaque soir, à l’heure où le soleil disparaissait derrière les crêtes boisées, la balançoire oscillait,

elle oscillait sans qu’il n’y ait le moindre souffle de vent, elle oscillait au même rythme jusqu’à la nuit. Et chaque matin, la terre au dessous semblait avoir été fraichement remuée, comme si quelqu’un avait toute la nuit poussé sur ses pieds.

La troisième nuit je restais à la porte fixant l’arbre, hypnotisé par ce balancier silencieux, jusqu’à ce que le sommeil me gagne. Je ne vis personne, jamais.

Le quatrième jour, à midi, j’allais m’assoir sur la planche de bois. Je saisis une corde dans chaque main et poussai sur mes jambes.

Après à peine un aller et retour, je fus assailli par un étrange souvenir.

C’était dans un bar miteux d’Oiapoque au Brésil. J’étais en compagnie d’un vieux forestier à qui il manquait trois doigts. Un néon blafard grésillait. Nous venions de finir une bouteille de rhum. Il était tard. Une sono éraillée jouait Born to Be Blue de Chet Baker. De temps en temps une main claquait sur un moustique. Nous avions parlé des heures,  des heures de confidences qu’on ne fait qu’à un étranger qu’on ne reverra plus. 

Je me souviens de son regard. Dans les yeux, une forêt au couchant.

Et surtout je me souviens de sa dernière phrase avant qu’il s’effondre sur le bar:

J’ai laissé mon enfance à Lestole….



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