La femme au balcon
(Manoir de Saint-Pol-Roux, Camaret-sur-Mer, Finistère, 18 septembre 2018)
La mer avait pris son fils.
Un jour de tempête, un jour où ce qui ne devrait jamais arriver arrive.
Du matin au soir, elle chantait sur son balcon.
Elle chantait dos à la mer, elle chantait pour les hommes à terre.
Ce n’était pas une plainte, son chant avait la splendeur de l’adolescence.
On venait de partout l’écouter,
Et sa voix couvrait le bruit des vagues
Et sa voix chassait les nuages.
Puis il furent de moins en moins nombreux au pied du balcon.
Hommes et femmes semblaient disparaître,
Happés par d’étranges maux venus de la terre,
Elle chantait sans faillir pour une terre désolée,
Elle chantait pour les pierres, les herbes et les arbres.
Puis les arbres se flétrirent, l’herbe jaunit, les murs s’effondrèrent.
Elle chantait toujours, seule au balcon, pour un monde en ruine.
Puis elle même disparut, rongée par le vent et les embruns,
Elle redevint poussière portée vers les montagnes au delà des frontières.
C’était il y a longtemps.
Quand on vient sur la falaise, au dessus de l'anse de Pen Hat
Là où reste les traces de cet ancien monde,
On entend encore son chant mêlé aux vagues et aux oiseaux,
Et ce chant est un appel, un fervent appel
À prendre la mer, à prendre la route, à se retrousser les manches.
Such sadness! It had looked like it would be there forever.
RépondreSupprimerDans la nuit du 23 au 24 juin 1940, 4 jours après l'occupation par les troupes allemandes de la presqu'île de Crozon, le manoir de Cœcilian est ensanglanté par un drame atroce. Un soldat allemand investit le manoir, tue la gouvernante Rose et blesse Divine à la jambe d'une balle de révolver. Il est souvent dit que le soldat aurait violé Divine, ce qu'elle réfute par la suite. Saint-Pol-Roux est blessé mais réchappe de la tragédie car le soldat allemand s'enfuit, effrayé par le chien de la maison[8].
RépondreSupprimerLe jour même de l'agression, l'autorité militaire allemande arrête le coupable. Il sera jugé par la cour martiale de Brest, condamné à mort et fusillé.
Le 5 septembre 1944, Divine Saint-Pol-Roux, rédigera le manuscrit de son témoignage de l'attentat.
« Après les démarches auprès des autorités allemandes et ma déposition, j'arrivais à l'hôpital civil de Brest 17 heures après le drame, je fus opérée d'urgence, j'y fus soignée jusqu'au 15 avril 1941, pendant toute cette période le docteur Pouliquen et son assistant luttèrent contre l'amputation, je subis quatre opérations ; le 15 avril 1941, l'hôpital ayant été détruit au cours d'un bombardement, je fus dirigée sur la clinique du docteur Pouliquen où je restais huit jours mais Brest devenant peu sûr je fus évacuée sur Camaret où je fus accueillie par les parents de ma servante, n'ayant plus de foyer. Mais mon cas nécessitant encore des soins j'attendis la venue de mon frère pour être transportée à Paris où je fus admise à l'Hôtel-Dieu le 30 octobre 1941 et y demeura soignée par le professeur Mondor jusqu'au 15 avril 1942 »« Récit de Divine Saint-Pol-Roux : l'attentat qui coûta la vie à Rose Bruteller »
Saint-Pol-Roux est cruellement atteint par la mort de leur fidèle Rose, par les souffrances de sa fille et aussi par les coups qu'il avait reçus.
Alors qu'il fait la navette entre l'hôpital de Brest et Camaret, il apprend un soir d'octobre que le manoir qui avait déjà été pillé vient d'être à nouveau « visité ». Les diverses pièces du manoir, notamment sa chambre et son cabinet de travail, se trouvent en effet dans le plus grand désordre
Les manuscrits de plusieurs ouvrages auxquels Saint-Pol-Roux travaille depuis de nombreuses années ont été les uns déchirés, les autres brûlés. Lorsqu'il vit le désastre, il comprit qu'il lui serait impossible de reconstituer son œuvre; il en éprouve un immense désespoir qui achève de le briser.
Atteint d'une crise d'urémie, il est transporté le 13 octobre à l'hôpital de Brest. Saint-Pol-Roux, « le Magnifique », le « mage de Camaret », meurt le 18 octobre 1940 (Wikipedia)
Cette histoire m’a longtemps hanté. La douceur de ce poète cherchant refuge aux confins du monde rattrapé par la bêtise et la bestialité de la soldatesque est une histoire infiniment triste. Je ne savais pas qu’il restait des traces de cette bátisse