jeudi 28 avril 2022


Un petit jardin en Normandie

(Camelia, les Alleries, Hercé, Mayenne, 24 avril, 18h 55)

C’était un petit jardin en Normandie,

Un soir d’élection où l’on craint le pire,

Où le cœur bat comme dans un mauvais suspens,

Où la radio fait trop de bruit.

Il y avait un camélia en fleurs.

J’ai attendu que le soleil s’y pose,

Comme parfois je t’attends

Au bout d’un quai, dans un café ou à la fenêtre.

J’ai cherché des mots d’amour qu’on oublie pas,

J’ai trouvé une fleur que la lumière rendait impérissable.

J’ai commencé l’histoire d’un soldat de retour

Qui se rase la barbe pour oublier la guerre.

Mais il se coupe et rien ne s’efface.

Alors j’en suis resté à la douceur de sa peau.

C’était un petit jardin en Normandie

Entretenu par une irlandaise aux yeux bleus.

Je me suis dit que tes taches de rousseur

Avaient la douceur de son accent.

Il y avait aussi des lunaires annuelles, des jacinthes d’Espagne

Et des poissons dans une mare.

Je me suis demandé quel bruit faisaient les poissons

Quand il n’étaient pas d’accord.

Mais dans ce jardin rien ne semblait en désaccord.

Alors je me suis demandé ce que ferait une bombe

Tombée là dans ce jardin.

Des villes et des villages furent rasés il y a quatre vingts ans près d’ici.

Comme maintenant en Ukraine, totalement rasés.

J’ai regardé la fleur, le soleil était plus bas.

Le camélia était à l’ombre maintenant.

Il y eut quelques coups de tonnerre,

Mais l’orage se tenait à distance.

La nuit serait calme si l’on gardait éteintes radio et télévision.

J’ai pensé à Monet peignant les Nymphéas*

Tandis que son ami Clémenceau faisait la guerre.

J’ai regardé le ciel en écoutant les oiseaux du soir,

Puis je suis allé me coucher.

Il fallait que je sois en forme pour le spectacle du lendemain,

Car, oui, jamais je ne cesserai de raconter, 

Et de chercher des mots d’amour.



* À lire, aux éditions de Minuit, le très beau et bref livre de Jean-Philippe Toussaint, L'instant précis où Monet entre dans l'atelier.

 

1 commentaire:

  1. The echoes of war must seem like phantoms in the night all throughout Europe. In the early days of the invasion of Ukraine I was struck by how much the scenes could easily have been the US --- and then they were turned into smoking ruins like black and white films of WWII. It makes me crazy.

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