mardi 6 février 2024


L'être idéal

(Musée Maillol, Paris 7ième, 14h50)

C’était un sculpteur perfectionniste et orgueilleux, un solitaire qui passait sa vie sur le même motif, modeler l’être idéal, le seul habilité à lui tenir compagnie. Après des années de tentatives infructueuses il eut la surprise un soir d’hiver de sentir frémir l’argile. Les lèvres de la statue s’animèrent. Il recula, un mètre, deux, puis contempla l’œuvre du bout de l’atelier. Elle irradiait, le regard fixe, vers lui, son créateur. Elle avait des mains d’une finesse exceptionnelle, des mains à délier tous les imaginaires.

Ça y est! j’y suis! Il parlait tout haut, tremblait, fiévreux, le visage soudain rouge.  Tu es là, au centre. Je vais vider, nettoyer l’atelier. Aucune autre sculpture que toi n’a de place ici, désormais.

Tu es mienne et moi-même, mon double, mon amour, mon obsession. Je porterai mon lit ici, je couvrirai le sol et les murs tachés de tapis et tentures. Je choisirai des rouges et des bleus pour  grandir ta blancheur. Nous regarderons s’éteindre la ville  en écoutant le concerto pour piano en la mineur de Robert Schumann…

Alors, elle répondit. La statue qui le regardait de haut sur son socle  répondit.

Non! Je déteste Schumann et les romantiques. J’ai du les supporter tout le temps de ton labeur. Il n’est pas question que je reste ici. Tu m’a créée. Je ne t’appartiens plus. Je suis libre. C’est ainsi.. Je veux voir le monde, je veux être vue du monde. Il me faut d’autres regards…

Stupéfait, il se jeta sur la sculpture pour la faire taire. Il sentait la bouche vibrer sous sa main. Un bras tenta de le repousser. Il devint fou, atterré et enragé, il la fit tomber de son socle. Elle perdit son nez, un bras, un pied, un bout de sein. Mais pas la parole.

Artiste de merde, laisse moi vivre, tu m’a fait pour ça, non!

Il s’effondra dans un coin de l’atelier. 

Calme toi, se dit-il, ce ne sont que des hallucinations, un excès de travail, un burn-out….

Et il vit la statue se relever, ramasser ses morceaux, mettre le tout dans un cageot  et sortir par la porte, le cageot sous le bras restant. 

2 commentaires:

  1. Ese sentimiento de propiedad sobre lo creado lo hemos experimentado todos los que de un modo u otro nos dedicamos a expresar aquello que escondemos dentro de nosotros. Unos con la pintura, la escultura o la fotografía y es cierto que debemos aprender a dejar en libertad, lista para las miradas de los demás, a cualquier obra que hayamos construido.
    Tu relato es una genialidad. Y la foto es perfecta para combinar, texto y fotografía. Bravo. Un saludo y gracias por tu comentario en mi blog.

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  2. A stroke of genius! I must agree with Luis. An amazing story that says so much. Well done, mon ami.

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