lundi 18 mars 2024


Laisse venir la nuit

Une histoire d'Arthur et le Vieux 

(Dicy, Yonne, 10 mars, 19h 25)

Arthur et le Vieux sont montés sur la colline regarder se coucher le soleil.

Le ciel est clair, frangé de gris au nord tandis que du sud s’avance à fleur d’horizon un long et fin nuage noir.

Le soleil roule sur sur cette bande, se faufile derrière, et réapparait, cercle parfait entre le nuage et la terre.

Arthur tient fort la main du Vieux. Il voudrait saisir ce ballon rouge coincé une seconde à peine comme dans le bec d’un oiseau. Il n’en a jamais vu d’aussi gros, d’aussi beau. Et les ballons, ça le connait. On le croirait né avec un ballon dans les bras. Il me semblait bien qu’on jouait à la balle dans mon ventre, disait sa mère en riant, chaque matin ça shootait et dribblait en dedans.

Aux premier pas il tirait juste aussi bien du pied droit que du pied gauche. Foot, basket, rugby, buts, paniers ou poteaux, il passait des heures au terrain communal, il ne lâchait pas les grands d’une semelle. À trois ans il s’était déjà fait un nom.

Le nuage s’effiloche, l’oiseau relâche son étreinte, le ballon tombe et la terre sombre l’avale.

Le Vieux sent la main d’Arthur serrer un peu plus fort, un serrement de chagrin qu’on ne veut pas montrer, quand il ne reste dans le ciel que la trace rouge du désir du plus beau ballon du monde.

Alors le Vieux parle.

Laisse filer le soleil Arthur, il reviendra demain. Laisse venir la nuit, la nuit et ses trésors. Les arbres qui dansent, la chouette qui appelle et le chevreuil qui aboie. Tu entends les herbes qui bruissent? C’est la peur qui s’enfuie. Sens nos mains l’une dans l’autre comme elle se réchauffent. Regarde là haut, l’étoile polaire, c’est la première. Les autres vont venir, sans bruit, une à une. Puis ce sera  la grande ourse, le dragon, le petit lion… D’autres constellations à inventer dans un ciel bleu nuit bien plus grand que tous les terrains de foot du monde réunis.

Ecoute la terre qui frissonne et le ciel qui veille en silence. Vois la lune qui ce soir se repose sur le dos, la lune qui ne s’en fait pas, grosse une nuit, si fine une autre nuit. Regarde comme on est si petit et si grand en même temps, les pieds dans l’herbe humide qui chatouille, les cheveux qui s’accrochent aux étoiles.

Arthur regarde le Vieux. Il aime bien écouter le Vieux. Mais bon, peut-être qu’il faudrait se taire pour entendre la terre frémir. Et le Vieux il n’a plus beaucoup de cheveux pour s’accrocher aux étoiles, alors que lui il en a plein.

3 commentaires:

  1. It is a beautiful photograph, but not half as beautiful as your story. This one really reached into my heart for some reason... Simply beautiful.

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