jeudi 15 novembre 2018


Un peu bancal


(Sur la D142 entre Lembeye et Monpezat, Pyrénées-Atlantiques)

Pourquoi cet arbre, un peu bancal, un peu foutraque, avec un brin de fantaisie?
Parce qu’il me plaît, c’est tout. Alors je me suis arrêté là pour mieux le regarder.
C’est comme les gens, je les aime un peu de traviole, un peu gauches, les pieds en canards ou en dedans, l’air pas très sûr.
Si j’avais croisé là un vieux en chemise à fleurs tirant un chien à trois pattes, je me serais arrêté pareil. On aurait pas osé parler, alors on aurait regardé l’arbre ensemble.

mercredi 14 novembre 2018


L'enfant au bâton


 (Plage de Cenitz, Guethary)

Il semble venir de très loin,
l’enfant au bâton
qui court sur la plage.

mardi 13 novembre 2018


Les cendres de mon père


(Hendaye, 15h)

Ils sont toujours là, les deux rochers.
Il y a quelques mois, à un mile au large, d’un geste ample je lançai l’urne contenant les cendres de mon père. Il y a eu un grand plouf, ma mère et mes sœurs ont jeté des fleurs, chacun, discrètement, essuyait ses larmes.
L’urne s’est posée sur le fond puis s’est lentement désagrégée, les cendres s’en allant dans le courant.
Ce matin la mer était belle, un beau swell d’automne, j’ai surfé, j’ai gueulé comme un môme à Noël, et dans l’eau froide, j’ai pensé aux cendres de mon père.
Il y a cinquante ans, il m’offrait ma première planche.

lundi 12 novembre 2018


11 novembre


(Vayrac, Lot, 18 octobre)

Elle l’appelle mon grand, mon pioupiou, mon artilleur. Depuis qu’il est rentré du désert, il ne supporte ni le bruit, ni la lumière, il a la main qui tremble comme s’il jouait de la guitare.
C’est dimanche, 11 novembre. Elle est assise, bien droite, immobile, devant le poste de radio. Son grand est debout derrière elle, bien droit lui aussi. Il a posé sa main calme sur l’épaule de sa mère, l’autre ne cesse de s’agiter, bat des ailes contre son ventre. Tout semble figé dans l’obscurité du salon hormis cette main incontrôlable.
À la radio, le discours du président, la sonnerie aux morts, et puis la voix de la béninoise Angélique Kidjo:
Blewu wi iih
Doucement
Blewu wi iih
Doucement
Blewu wi mianda kpélo
Doucement, rentrez chez vous sain et sauf

Alors son grand, son pioupiou, son artilleur parle:
« Je me souviens de ma joue sur le gravier, le gravier brûlant, de la poussière blanche sur les rangers, je me souviens du sable dans la bouche, du sang sur le rocher, je me souviens du souffle des pales de l’hélicoptère. »

Ce sont ses premiers mots depuis sont retour.
Elle ne veut pas qu’il la voit pleurer.
Elle se lève et arrange le bouquet d’hortensias à la fenêtre.


dimanche 11 novembre 2018



Miniatures éphémères


(Vaucresson, 3 novembre)

Échouée sur la table du jardin

samedi 10 novembre 2018


"Cold War"


(Vaucresson, 25 octobre)

Journée d’automne, vent et pluie.
Nous allons au cinéma, à Marly-le-Roi. La route passe par la forêt, lumineuse.
Cold War de Pawel Pawlikowski. Noir et blanc, format carré. Une histoire d’amour, d’empêchement, de frontières, d’impasses. Somptueux et mélancolique.
Parmi tant d’images inoubliables, celle de l’héroïne, Zula, chantant Dwa Serduszka (Deux petits cœurs), sur le dos, bras ouverts, portée par le courant de la rivière. Seuls émergent son visage et ses mains.
À cet instant je pleure, comme à la dernière séquence, et c’est si doux de pleurer. Ce n’est pas la tragédie qui me fait pleurer, mais la beauté de la tragédie ainsi filmée, ou les deux en même temps. Le cinéaste transfigure l’impossible, jusqu’à l’abolir en imprimant ces images sur nos rétines.
Abolir l’impossible. La force de l’art, sans doute.

vendredi 9 novembre 2018


En équilibre précaire


(Lac de Drennec, Finistère, 20 septembre)

En équilibre précaire,
entre deux rives.

Dans l’obscurité,
un homme du magdalénien
plaque sa main sur la roche.
Dans la lumière,
Un dragon de Komodo s’abreuve.

Un chien boit l’eau contaminée
d’un lac aux eaux basses.
Des enfants sans bras 
courent sur une plage
de pierres.

jeudi 8 novembre 2018


Tiens toi droit!

 
( Versailles, Yvelines)

Tiens toi droit!
Passant devant les hauts peupliers, le ton péremptoire du père.
Tiens toi droit!
Il y a si longtemps. Sa voix, son visage, comment était-ce?
Tiens toi droit!
Il a beau chercher, il ne lui reste à cet instant que cette injonction.
Il donne un joyeux coup de pied dans un marron et s’en va vers un arbre plus rond.



(Versailles, Yvelines)

mercredi 7 novembre 2018



Pluie d'Automne


 (Vaucresson, 8h45)

Il pleut.
C’est doux.
La terre avait soif. Elle est dure. Il lui faut un peu de temps pour recevoir la tendresse de la pluie.
L’érable  du japon ne rougira pas, les feuilles se sont recroquevillées avant le dernier éclat qui précède leur chute, elles se sont repliées en coupelles brunes qui à présent débordent. L’arbre se saoule.
Au cerisier les feuilles brun-rouge pendent sans vigueur. Lui est inconsolable.
Le néflier amaigri est en fleurs. Un parfum du sud, et pourtant…
Alourdies, les dernières feuilles du figuier tombent, libèrent l’épure de ses courbes.
Il n’y a personne à la table du jardin. Les oiseaux se cachent.
Et les jaunes tanguent sous le vent.

mardi 6 novembre 2018


Inexploré


(Vaucresson, 8h30)

Dans ses derniers instants, il se souvient du vent,
de l’eau qui ruisselle,
du gel qui enserre,
de la lumière qui vibre.
Dans les draps blancs il se laisse aller à cette douce oscillation.
Un battement de cil,
un peu d’air qui s’échappe,
un frémissement,
il s’en va, 
il se retire,
il s’éclipse.
À son chevet
une fleur fanée 
ouvre ses bras,
lui murmure
un mot d’amour.
Il lève l’ancre,
il décroche,
il se livre,
à l’inexploré.

lundi 5 novembre 2018


Retenir


(Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 23 octobre)

Comme la feuille retenue dans sa chute, il y a dans les livres des phrases que l’on lit et relit mille fois pour les garder.

Le cœur est une menthe sauvage. Quand deux mains le frottent, il donne tout son parfum.
                                                    (La Nuit du Cœur, Christian Bobin, Gallimard)

dimanche 4 novembre 2018

samedi 3 novembre 2018


Scène champêtre


(Domaine du Château de Chantilly, Oise, 1ier novembre)

Alain est très grand, très gros, les doigts comme de petits boudins antillais, des doigts bien maladroits pour dessiner mais épicés pour caresser. Josiane est très petite, un long nez et une grande bouche, bien maladroite pour disserter mais si douce pour embrasser.
Ils ont bu un chocolat chaud avec un grand bol de Chantilly, de la vraie, onctueuse, grasse, de la crème fait maison qui fond sous le palais comme une oraison à la gloire de leur passion. Elle s’en est mis sur le bout du nez, il s’en mis sur le menton, il se sont regardés comme deux fauves affamés, ils se sont retenus.
Ils ont marché dans le parc du château, main dans la main, mouillés par le crachin d’automne.
Ils ont regardé les culs renversés des cygnes dans l’eau noire. Une mouette a plongé, saisit un poisson, s’en est allée pourchassée par d’autres qui lui disputaient sa proie. Alain et Josiane se sont embrassés à pleine bouche. ils avaient le goût de la crème et le nez froid.
Ils se sont arrêtés les pieds dans les crottes de bernaches qui jonchent les berges du grand canal.
Alain se rêve en peintre romantique. Il mettrait un grand cerf au centre du paysage, un grand cerf portant sur ses bois Josiane blanche et nue.
À cet instant Josiane saute sur le dos d’Alain qui part courant et bramant dans la prairie humide sous les yeux effarés d’une famille de touristes québécois.

vendredi 2 novembre 2018


Tulipes


(Vaucresson, 8h20)

Premiers rayons sur le bouquet de tulipes
trois couleurs d’enfance
dehors passe un vol d’oies sauvages
très bas
les fleurs tardent à s’ouvrir
c’est inouï ce qu’elles retiennent 
en leur cœur

jeudi 1 novembre 2018


Au fond de l'eau


 (Oinville-sur-Moncient, Yvelines, 27 septembre)

Le saule pleure
les larmes montent
au fond de l’eau 
s’écrivent des livres
de joie


mercredi 31 octobre 2018


En voie de disparition


 (Paris, Les Halles, 27 octobre)

Souvent je photographie des arbres, des feuilles, des fleurs, des insectes, comme on fait des photos de famille. Garder trace de ce qui nous est cher, de ce en quoi on se reconnaît.
Dans ces moments, je n’envisage pas la disparition un jour ou l’autre de ce qui m’enchante. Ce n’est qu’après, abreuvé des nouvelles du monde, que sourd l’inquiétude d’une prochaine extinction.
Ce jour là, je me trouvais au cœur de la fourmilière qui grouille dans le trou des Halles à Paris.
Je n’aime pas trop les villes, même si je ne suis pas insensible à leurs charmes. Je photographiais la façade de verre, un aquarium de poissons exotiques. C’était beau, c’était joyeux, les jeunes filles parlaient fort, l’opulence dévalait les escalators. Pourtant je me sentais étranger à ce monde, jusqu’à me demander si je ne faisais pas partie des espèces en voie de disparition.

mardi 30 octobre 2018


"Comme un lundi"


(Vaucresson, 25 octobre)

Hier il faisait gris. J’ai acheté un livre, au rayon poésie.  Ça s’appelle «Comme un lundi ».
Un livre qui a le parfum d’une vieille sacoche de cuir, les couleurs de derrière la fenêtre au premier regard du matin, un livre qui brille comme une bougie d’anniversaire.
Aujourd’hui le vent joue avec les nuages, le soleil se faufile, j’ai lu tout le livre, Je suis comme un enfant qui veut faire pareil.

Comme on ferme les yeux

Je voudrais garder quelque chose de ce que je vis. Garder quelque chose de maintenant. D’aujourd’hui. De ce moment. Le temps est en sable. Le ciel a une couleur de brique. Nous sommes un soir d’été. Un petit garçon dort dans son lit. je viens d’aller le voir. Nous sommes restés tous les deux depuis le début de l’après-midi. Sa mère est allée vendre de vieilles affaires dans un vide grenier. Je voudrais garder quelque chose de ce que je vis chaque jour. D’elle heureuse. Des journées enfant.  Du pouvoir de faire rire. De rassurer. D’une araignée sur le mur. Du parfum de tilleul. Des livres. de la lumière rassurante. Des radis. Je sais que je vais tout perdre. On finit toujours par perdre ces Maintenant. Ils disparaissent. Je n’ai pas trop d’idée. Pas trop de vocabulaire. Je fais des fautes d’orthographe. Je voudrais juste en garder quelque chose. Quelque chose de vivant. Autre chose que la conscience que j’en ai. Autre chose que la peur de le perdre. C’est la raison pour laquelle j’écris ces mots. Ce n’est pas de la littérature, c’est de l’amour. J’écris comme on ferme les yeux en embrassant quelqu’un.

(Comme un lundi, carnet de bord assis tout au bord du temps, Thomas Vinau, édition La fosse aux ours)

lundi 29 octobre 2018


Le froid tremble


(Oiapoque, Brésil, 18 avril 2009)

Le froid tremble, c’est l’hiver, d’un coup, au Brésil aussi.
Ligne 9. Un homme sans avenir s’assoit dans le métro. Il fait chaud, ça berce.
C’est là qu’il vient quand ça glace, il a la peau trop fine.
Une peau de poisson des tropiques.
Il va et vient, d’un bout à l’autre de la ligne.
Il somnole, tacatac, Grands Boulevards, Bonne Nouvelle.
C’est là qu’il vient quand ça fige.
Il sommeille sur l’Oyapock de ses vingt ans,
et la fille du haut parleur dit Bonne Nouvelle.
C’est là qu’il vient quand ça crasse,
pour la fille du haut parleur.
Aujourd’hui ça glace, ça fige, ça crasse,
c’est plus une fille dans le haut parleur,
c’est un mec, un mec, un mec.
Le froid tremble, c’est l’hiver.

dimanche 28 octobre 2018


Miniatures éphémères


(Figuier, Vaucresson, 27 octobre)

Après la pluie, le beau temps…

samedi 27 octobre 2018


Sur le Pont Mirabeau


 (Paris 15ième, 25 octobre)

Sur le pont Mirabeau, il marche vite l’homme qui va, un livre corné dans la poche.
J’étais adolescent, je traversais la ville pour sécher mes larmes,
l’aube me cueillait épuisé. 
Qu’il est bon d’être amoureux!

vendredi 26 octobre 2018


Cœurs de pierre


(Oinville-sur-Moncient, Yveline, 27 septembre)

Je connais une femme qui collectionne les cœurs de pierre.
J’aurais voulu lui rapporter celui ci,
mais il est bien trop lourd, 
et elle est bien trop loin.

jeudi 25 octobre 2018


Nature morte


(Vaucresson, 13 octobre)

Chaque être, chaque chose en mouvement
Jusque dans la mort, et bien au delà

mercredi 24 octobre 2018


Ce matin, une pie


(Cèdre de l’Himalaya, Arborétum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines, 23 octobre)

J’ouvre la fenêtre, une pie s’envole,
franc noir et blanc sur le jaune claquant du feuillage,
injonction à sortir, aller au devant des grands arbres
qui fuient sur la prairie desséchée.

Courses imprévisibles des rhinocéros écornés
qui soulèvent la poussière,
soubresauts des poissons dans ce qui n’est plus qu’une mare
où affleure l’argile,
ombres étirées de foules en marche sur la terre craquelée.

La pie jacasse aux rouges et fauves de l’automne,
je retiens ce chant comme unique et rare,
je me noue le cœur pour ne pas oublier
de toujours veiller à ce qu’il perdure.

mardi 23 octobre 2018




(Arboretum de Chèvreloup, Rocquencourt, Yvelines)

Le Hêtre tortillard ou l’art de la digression

lundi 22 octobre 2018



Fumée


(Sur la D807 entre Lavergne et Gramat, Lot, 19 octobre)

Encore une fois, je m’arrête au bord de la route.
Une fumée paresseuse monte d’un tas de branches et feuilles mortes.
Un vieil homme est penché, la main sur l’herbe humide. Un homme plus jeune, l’attend. Le vieil homme hoche la tête.
Je ne puis douter qu’il s’agisse d’un père et de son fils.
Je regarde la fumée prendre lentement son chemin dans la lumière.
Je repars lorsqu’elle s’est totalement dissipée. Les deux hommes ont disparu depuis longtemps.

dimanche 21 octobre 2018


Miniatures éphémères


(Vaucresson, 16 octobre)

Songe sur la sauge sèche

samedi 20 octobre 2018


Une Noce


(Sur la D14 entre Prudhomat et Loubressac, Lot, 19 octobre)

C’est une noce d’aveugles qui monte sur  le causse. Ils se tiennent par l’épaule, le marié va devant, la mariée est en jaune, les têtes se penchent en arrière, elles cherchent la lumière.
Derrière, d’une main on joue du tambour, on joue de la flûte, on bat la mesure, on salue à tout vent.
Adrien n’avait que quelques noix au fond de ses poches. Il lui a offert mille tours, des vergers lourds de fruits, des oiseaux de paradis, des gardes en armures, des chevaux d’Abyssinie, des tapisseries d’Aubusson, des ruisseaux en fête, et un ciel de soie.
C’est ainsi, l’oreille tendue vers le paysage qu’Adrien a séduit Marie.

vendredi 19 octobre 2018


Le Regard de la Chèvre


(Prudhomat, Lot)

Après avoir pris mon petit déjeuner en compagnie de Patrice qui me raconte combien il aime ce moment de la traite seul avec ses bêtes dans les bruissements de l’aube, je croise le regard curieux et tellement confiant de ces chèvres.
Ce matin je pars à la rencontre d’un groupe de collégiens et d’un groupe de handicapés, autistes et malvoyants, je vais recueillir leurs paroles, nous allons inventer ensemble, en vue d’une aventure théâtrale qui va durer quelques mois.
Je caresse ma barbe, reste du dernier personnage interprété que je tarde à délaisser, en me disant qu’il me faudra avoir aujourd’hui le regard de la chèvre à qui je me confierais sans hésiter.

jeudi 18 octobre 2018


Sur la Route de Vailles


(Route de Vailles, Loubressac, Lot) 

Je me frotte les yeux, j’essuie mes lunettes. Non, ce n’est que l’air qui est légèrement brouillé, imprégné d’un suave parfum d’humus. La Dordogne coule à quelque pas, derrière les arbres qui commencent à peine à se teinter de jaune. La rivière va, basse et tranquille, juste quelques soubresauts sur les rochers après un été trop sec. À la ferme de l’Autre Chèvre, les bêtes n’ont plus rien à brouter, il faudra racheter du foin cet hiver, toujours un peu plus cher.
Et pourtant c’est une odeur d’humidité qui me saisit ce matin.
Pourquoi me suis-je arrêté là, au bord de la route de Vailles. Pour le souffle rassurant du bétail dans l’étable, pour la présence solitaire de celui qui taille son bâton et pense à sa belle, pour le chant d’un oiseau sur l’épaule du voyageur, pour le temps immobile qui s’offre au marcheur.

mercredi 17 octobre 2018


Le Braconnier de Dieu


(Carennac, Lot)

J’ai longtemps attendu, dans l’ombre du prieuré, juste en face, que quelqu’un entre ou sorte par cette porte. Je voulais voir son visage, le contenu de sa besace, le choix de ses armes.
À la nuit tombée, je suis parti. À l’instant où je m’éloignais, j’ai entendu un rire derrière la porte, et puis plus rien.