Premier amour
Divonne -Les- Bains. C’est la première fois que je viens ici. Je flâne, l’air est frais, la lumière est belle. Je m’arrête devant la vitrine de cet antiquaire. Un sourire, d’abord, puis le coeur qui se serre. Sans doute ces objets de l’enfance me chatouillent-ils la mémoire. Pourtant tout est trop bien ordonné dans cette vitrine, rien de la fantaisie enfantine. Et puis, chez nous le téléphone était noir, et je n’ai jamais eu de cheval à bascule. Alors peut être est ce cette carte identique à celles qui étaient accrochées au fond de la classe? Mais, franchement, le bassin de Paris, ce n’est pas ce qui fait le plus rêver le petit banlieusard que je suis.
Plus je regarde, plus la mélancolie me gagne. Je ne comprends pas.
Et soudain je la vois. A la fenêtre qui se reflète juste au dessus du cheval rouge. Anne. Elle est là, derrière les voilages. Elle me fait un signe, c’est un geste de flamenco, une douce arabesque ponctuée d’un coup de talon.
Nous habitions un immeuble des années 60, du même style que celui ci, derrière moi. Anne était ma voisine du dessus. La p’tite du d’ssus, comme je dirais plus tard. Nous avions le même âge, elle était brune et plutôt grande. A sept ans déjà j’étais amoureux. Parfois nous nous disions: « On s’les montre? », puis nous allions dans un couloir qui menait aux caves nous déculotter et en tout innocence examiner nos différences. J’habitais au troisième étage, elle au quatrième. Mais il y avait aussi Jean François au quatrième, la porte en face. Parfois nous nous retrouvions tous les trois dans l’ascenseur, il fallait alors qu’elle dise lequel de nous deux elle préférait. Elle riait, ne répondait pas et nous embrassait, un baiser léger sur la bouche.
Quelques années plus tard, je devais avoir quatorze ans, mes parents s’étant absentés pour un week-end, nous avions improvisé une petite boum avec ma soeur ainée. Anne était descendue.
Nous nous sommes regardés toute la soirée, sans nous toucher, nous n’osions pas.
Elle est partie la dernière. Je l’ai raccompagnée, et là sur le palier, enfin nous nous sommes embrassés, à pleine bouche, un baiser de grands, les corps ignorants qui se frottent, qui se cherchent, brulants, le tissu des vêtements devenant si mince.
Je n’oublierais jamais ce baiser, le premier, cette sensation nouvelle de pleine existence dans la volupté de cet instant.
Anne faisait de la danse espagnole . Elle est morte à vingt ans d’un coma diabétique…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire