mardi 19 avril 2016


Chair à Canon


Rouffart ! Deuxième classe Rouffart !
Je me suis arrêté en Algérie, stoppé net par le sourire figé de mon ami Bernard troué de part en part.
Plaqué au sol, désespérant de ne pouvoir m’enfoncer au plus profond pour échapper aux balles.
Je sens encore le gravier s’incruster dans ma peau.
Bernard m’énonçait la recette du soufflé au crabe.
A chaque expédition, une recette pour évacuer la trouille.
Rompre les pinces très délicatement avec un casse noix afin d’en extraire la chair en un seul morceau.
Le coup de main pour battre les œufs en neige,  c’est important le coup de main…
Safran, curcuma, saupoudrer légèrement…
Bernard… troué au moment de la cuisson, le plus délicat pour un soufflé.
Cuits ! Cernés de toutes part d’hommes aux abois, assoiffés de pétrole, de cuivre et de zinc…
Métaux, pierres précieuses sont extraits à grands coups de boutoir et le vide comblé de chair humaine
Non !
C’est à Smolensk après des jours de marche dans la neige que j’ai dit non.
Blotti dans les entrailles dégoulinantes d’un cheval mort, je profitais d’un peu de chaleur avant que le sang ne se fige.
Il était pourtant beau mon costume de hussard : boutons dorés, cordon à l’épaule gauche, laine des Pyrénées, bonnet à poil qui m’obligeait à baisser la tête en passant les portes…
T’es beau mon grand, qu’elle me disait… J’étais le roi…
C’est le cœur qui reste chaud le plus longtemps, c’est gros un cœur de cheval…
Il paraît qu’on m’a récupéré en train de lui sucer le foi…
Non !
Au chemin des Dames, je n’étais plus qu’une motte de terre aux yeux écarquillés, immobile au fond d’un trou.
Qu’on m’oublie, mais qu’on m’oublie, je n’existe plus, je ne suis qu’une motte,  il n’y a rien, il n’y a personne dans ce trou, que de la boue, passez votre chemin…
Maurice Maury
Charles Paris
René Cublin
Désiré Henry
Lucien legrand
henry Guillard
gaston barret
Elie Coffinet
Non!
Y’a qu’à jouer aux cow-boys et aux indiens, à pour de faux, pour en rire et faire des pieds de nez aux officiers !
Je ne sais plus pourquoi je suis parti, qui j’étais, pourquoi je me suis battu, mais chaque nuit ce même rêve me sauve : je suis face à une multitude de paires de seins et moi, tout petit, je les palpe, je les caresse et je suis bien, mais bien…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire