Il va se passer quelque chose
Ginette a poussé sa chaise près de la fenêtre ouverte. Les oiseaux chantent, c’est le premier jour du printemps. Il va se passer quelque chose aujourd’hui, elle le sent, sa cicatrice sur le dessus du pied la démange. Est-ce la pression atmosphérique, le taux d’humidité, où la mémoire qui s’agite sous la peau, Ginette n’en sait rien mais ça la gratte alors c’est qu’il va se passer quelque chose.
Soudain elle le voit. Un homme grand, la peau mate, coiffé d’un feutre brun, un fin cigare au bord des lèvres, une barbe de trois jours. D’une main il tient un pardessus qui traine sur le goudron, de l’autre une petite valise en croco. Il vient du sud, peut-être d’Espagne, Accous est au fond de la vallée d’Aspe, la frontière n’est pas loin. L’homme s’arrête à la fontaine et écrase son cigare sur le sol. Ginette note qu’il porte des chaussures de belle facture, poussiéreuses mais de belle facture. L’homme pose sa valise et son pardessus, boit un peu d’eau dans ses mains en coupelle, regarde autour de lui et entre dans la cabine téléphonique. Ginette le voit faire de grands gestes, le combiné à l’oreille. Elle n’entend rien mais elle le voit qui s’agite dans la cage de verre, elle le voit violemment raccrocher puis sortir. Il reste alors immobile devant la cabine. Il allume un autre cigare et regarde la fenêtre de Ginette. Ginette a un brusque mouvement de recul, elle manque tomber de sa chaise. C’est elle qu’il regarde. Elle ferme la fenêtre et se réfugie dans le fond de la pièce. Elle n’entend plus les oiseaux, son pouls s’accélère. Elle reste longtemps dans l’ombre sans bouger. Quand elle se décide à retourner à la fenêtre, l’homme a disparu. Est-il reparti vers le sud où vers le nord, va-t-il passer par Bedous, alors Thérèse le verrait. Il faut qu’elle appelle Thérèse.
Il y avait longtemps qu’il ne s’était rien passé, ni à Accous, ni à Bedous…
(Accous, Pyrénées-Atlantiques)
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