mercredi 27 septembre 2017


À l'aplomb


(Perpignan, Pyrénées-Orientales, 30 mai)

Manolo habite un minuscule appartement dans le quartier Saint-Jacques à Perpignan. La peinture s’écaille, les robinets gouttent, les huisseries laissent passer le vent. Manolo  a vingt ans, il est sec et dur comme un bois flotté qui ne craint plus rien, si ce n’est le feu. Chez lui, il n’y a rien d’autre qu’un lit, une chaise, une table, de quoi faire la cuisine, et un rideau  de coton rouge et blanc à la fenêtre. Ses vêtement sont pendus à un fil tendu entre deux murs. Il ne reçoit personne. Quand il est là, il ne bouge pas. Il économise le moindre geste tandis que sa pensée court.
Manolo travaille au noir pour un démolisseur. Il fait tomber des murs à coup de masse, charge des pelletées de gravats et trie la ferraille. Il aime ce boulot. Chaque coup porté aux vieux murs le tient à distance de ses démons. Ses premiers souvenirs sont une caravane en feu, un homme avec un couteau dans le ventre et une femme qui hurle. Il a fallu grandir avec, puis échapper à la tentation des armes.
Quand Manolo ne travaille pas, il court, il expulse la poussière des chantiers. Le dimanche matin, il court jusqu’à l’aéroport, une dizaine de kilomètres. Arrivé sur la route aux abords des pistes, il s’arrête. Dés qu’il aperçoit l’avion de huit heures en bout de piste prêt à décoller, il pique un sprint jusqu’à  l’aplomb de la trajectoire de l’appareil.
Il sait que lorsqu’il courra assez vite pour voir passer l’avion juste au dessus de sa tête, il pourra définitivement quitter cette ville, reprendre la vie nomade de ses ancêtres.

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