Le père, le fils et le chien
(Villeneuve-les-Avignon, 27 juillet)
Les volets ont la couleur de la vareuse du vieux qui a si souvent pris la mer sans dire au revoir.
Dans l’obscurité, le vieux est étendu, mains jointes, paupières closes, sur les draps parfaitement tirés. On l’a vêtu de son costume d’officier. Un parfum de formol et de papier d’Arménie flotte dans la pièce. Un chien gémit devant la porte, un berger allemand au pelage sombre.
Le fils vient saluer son père, une dernière fois, malgré tout. Le soleil écrase la pierre, les cigales sont entêtantes, le fils marche lentement. Soixante ans de vie, soixante ans de questions, du jardin à la porte de la chambre.
Le chien désespéré regarde le fils. Le fils met un genou à terre, caresse le chien.
- Il te parlait à toi? Sans doute en sais tu plus que moi. Il avait un cadenas au cœur, je crois. C’est comme ça. Personne n’avait la clé, un cadenas très ancien. Quand tu penses qu’il y en a qui accrochent des cadenas aux ponts pour célébrer leur amour, c’est drôle tous ces bouts de ferraille qui rouillent loin des amoureux. Il m’est arrivé de vouloir sauter, en finir, une fois, le doute était un gouffre béant, la tristesse me faisait vaciller, vidé de toute force. Ça n’a pas duré longtemps, heureusement, le chant d’un rossignol m’a remis les idées en place. Je n’en ai jamais parlé à personne, pourtant je me souviens parfaitement de ce jour, plutôt cette nuit, c’était à Givors, après une discussion avec mon patron du moment, il me semblait avoir tout raté, alors à quoi bon…J’ai marché sur une route qui montait au dessus de la ville… jusqu’à ce que j’entende le rossignol… C’est curieux cette histoire de confiance qui va, qui vient… As tu déjà douté de ton maître, et lui, a-t-il douté de toi. Non, tu es un bon chien, ça se voit, dévoué corps et âme.Tu l’aimais le vieux, hein? Tu vois, moi aussi, mais je ne le savais pas. ben oui, qu’est ce que tu veux, on est compliqué nous les humains, on pense. Comment? Toi aussi tu penses! Excuse moi.
Le fils se relève et entre dans la pièce où repose son père. Il regarde son père. Il veut dire quelque chose, mais rien ne sort. Il pleure.
Le fils sort de la pièce, le chien est toujours là, il ne gémit plus, il pose une patte sur la cuisse du fils.
- Bon, ben je t’emmène?
Le chien glapit, le fils lui sourit, ils s’en vont tous les deux sous le soleil de midi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire