vendredi 27 septembre 2019


C'est si beau ici


(Landévénnec, 10 septembre, 8h)

Il s’est endormi près de la cheminée sur le canapé rouge, dans une position curieuse, cassée, un geste interrompu par une trop grande fatigue. Au sol une feuille blanche sur laquelle sont juste inscrits en haut à droite le lieux et la date, et à gauche un trait, l’amorce d’un mot, puis rien. Un stylo un peu plus loin a en tombant laissé une tache d’encre sur le tapis, une petite tache noire comme une araignée.
Les paupières  faiblissent, la tête  tombe, la main s'ouvre, la feuille glisse doucement vers le sol, une oscillation dans l’air tiède de la pièce puis se pose. Le stylo lui échappe d’un coup, tombe sur la pointe et l’encre éclabousse. La tête se redresse, tombe à nouveau puis le corps entier s’affaisse. Cela s’est sans doute passé ainsi.
À l’aube le froid, les courbatures et un rêve étrange dont il ne garde qu’un goût de poussière le réveillent. Il ne reste que quelques braises dans la cendre. Dehors le rouge-gorge entonne son chant matinal, puis c’est le tour du merle et des mésanges.
Il ouvre la fenêtre, il semble faire plus doux à l’extérieur. Est-ce la solitude qui rafraîchit les pierres? Il s’étire, masse son cou endolori.
Il ne se souvient pas de l’instant où il s’est endormi. Il cherchait un mot, un mot jamais utilisé pour s’adresser à son amour. Il avait tant écrit. Ce soir, il n’avait rien trouvé  qu’elle n’eut déjà lu, il avait sombré et la lettre vierge avait glissé.
Il regarde par la fenêtre le ciel chargé, l’île au loin, son ancre en cette terre.
Soudain lui  revient le rêve. Il marchait solitaire sur une terre dévastée, uniformément grise, parsemée de cratères. Il était vêtu d’une sorte de scaphandre, un casque translucide qui déformait sa voix et une épaisse combinaison qui le démangeait et entravait ses mouvements. Dans la poussière, il y avait une multitude de traces, mais absolument personne en vue, ça et là quelques arbres déchiquetés. Voulant saisir quelque chose qui ressemblait à une carte postale, les douleurs de son dos et de son bras ankylosé le réveillèrent.
Il aspire une grande bouffée d’air, maintenant c’est l’étourneau qui chante.
Il ramasse la feuille de papier, le stylo, et écrit d’un geste vif et précis: Mon amour, viens vite, c’est si beau ici!

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