Un papillon jaune
(Sur la D 926, entre Saint-Michel-Tubœuf et Le Merlerault, Orne, 1er septembre)
Tacatac tacatac tacatac, le rythme des roues de fer sur les rails et pas de place pour la moindre pensée. Le regard fixé sur la voie, insensible au paysage, Lucien mène son train comme on lui a appris, sans se laisser distraire.
Soudain, en rase campagne, un signal rouge, il faut s’arrêter. Le signal s’éternise, le silence s’insinue, les pensées se faufilent, poissons à travers les mailles d’un filet qui se desserre.
La femme qu’il a quitté ce matin sans oser la réveiller, les enfants qu’ils ne voit pas grandir, le ciel sans oiseaux, ce qu’il transporte dans son train rouge, la terre sèche, la puissance extraordinaire des ouragans, le coût de la maison de retraite pour sa vieille mère, la charge de police qui l’a laissé au carreau lors des dernières grèves, le rire du président, le cul de Giselle, la kiosquière de la gare de L’Aigle, le suicidé de samedi dernier, coupé en deux sous les roues de la locomotive, le suicidé de samedi dernier, encore le suicidé de samedi dernier…
Lucien sent ses muscles se liquéfier, sa gorge se nouer tandis que le silence se fait de plus en plus sombre et le rouge du signal de plus en plus vif.
C’est un papillon jaune qui vient se poser sur la vitre, les ailes tremblantes, les ailes aussi fines que du papier à cigarette, un papillon jaune qui l’extirpe de sa nuit, juste avant que le feu ne passe au vert.
Lovely picture, powerful words.
RépondreSupprimerSaint-Michel-Tubœuf et Le Merlerault !
RépondreSupprimerJe m'arrête un instant sous l'arbre magnifique entre le boeuf et le merle pour en savourer la poésie !