mercredi 11 septembre 2019


Un récit de dentelles


(Landévénnec, 10 septembre)

Sur les tables, aux fenêtres, partout des oiseaux, dentelles de lin blanc crocheté durant la longue nuit.
Longtemps, immobile sur la marche de granit de sa maison basse, elle les avait regardés  chanter et danser entre les roses et les pommes.
Hélas le ciel s’était obscurci, jusqu’à ce qu’il fut si sombre que l’œil peine à s’y faire.
Les oiseaux s’en étaient allés, abandonnant au silence le jardin dépeuplé.
Ses mains habiles crochetant le fil devant un feu tremblant, elle avait résisté à la nuit.
Puis revint le jour,  un fin trait rouge déchirant les brumes noires agrippées aux collines.
Et le ciel s’ouvrit, donnant un peu de bleu et tant d’autres couleurs.
Le jour avait pris à la nuit les rouges des braises pour les accrocher au pommiers et les répandre dans la roseraie.
Les cloches sonnèrent, un âne brayait de joie.
Elle vit alors venir une troupe d’êtres mi hommes mi oiseaux.
Étaient-ce des bras ou des ailes qui pendaient à leurs corps?
Ces vêtements de drap, de laine , de plumes, étaient-ce leurs habits ou leur peau?
Ils semblaient épuisés, mais tellement sereins. Elle vit dans leurs yeux la force du jour nouveau.
Elle les accueillis. Que fallait-il leur offrir, pain et fromage, ou graines et insectes?
Qu’importe, ils dirent se nourrir de ce qu’on leur proposait.
Ce fut pain, fromage, et pommes accompagné du vin que l’on garde pour les grandes occasions.
Et légèrement ivres, ils racontèrent leur voyage, un voyage aussi long que la nuit qu’elle avait traversée, un voyage dont chaque étape fut étonnements, bouleversements, révélations.
Ils racontèrent comment ils ne surent plus si c’était la tête qui faisait bouger les ailes ou les ailes qui faisaient marcher la tête.
Ils racontèrent comment un soir de tempête serrés autour d’un puits sans fond ils se réchauffèrent en se racontant des histoires drôles.
Ils racontèrent comment le prédateur avait attendri son bec, comment l’oiselet avait gagné confiance.
Ils racontèrent les plumes accrochées au champ de pierre.
Ils racontèrent la lune pleine au dessus de l’arbre sacré.
Ils racontèrent comment ils ne firent qu’un lorsque s’ouvrit la grande porte.
ils racontèrent comment ils firent le tour de la terre pour revenir sous les pommiers.
Elle écoutait, éblouie.
Le mercier aurait-il assez de fil à lui vendre pour crocheter en dentelle ce merveilleux récit?

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