Sylvain et Sylvette
(Buxerolles, Vienne, 29 janvier)
Il ne connaissait que l’hospice, le parc ceint de hauts murs hérissés de tessons de verre et couverts de lierre, la grande bâtisse au toit d’ardoise très pentu, les barreaux blancs aux fenêtres, les volets de fer, et au centre de la façade la grande baie vitrée ovale dans le plus pur style des années folles. Il avait toujours été là. On s’occupait de lui. Il pouvait sortir, il était dehors le plus souvent possible, l’intérieur ne l’intéressait pas. Il faisait le tour du parc, longeant les murs, sa main caressant le lierre, plusieurs fois par jour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Un jour, il sortit après de grosses pluies. La terre était lourde, l’herbe trempée. La boue s’accrochait à sa semelle. Au fond du parc il s’arrêta un instant, contempla ses chaussures crottées. Cela le contrariait. Avec un petit bout de bois, il nettoya ses souliers. Au moment de reprendre sa promenade une feuille attira son attention, une feuille rouge, une feuille de lierre.
Il penchait la tête dans un sens puis dans l’autre pour mieux la regarder. On aurait dit que quelqu’un avait dessiné des pattes d’oiseau, c’était joli, il voulu la cueillir. La feuille résistait, il fallut tirer fort, la branche vint avec, puis une autre branche, il tirait, tirait, tout le lierre vint arrachant les pierres, jusqu’à ce que le mur entier s’écroulât.
Il vit alors des oiseaux, des milliers d’oiseaux, des grands, des petits, des longs becs, des grandes pattes, des blancs, des roses, des noirs, dans tous les sens, babillant, jacassant, pioupioutant, ululant, caquetant, frigottant, puputant, truissotant, et des prairies, des étangs, des roseaux, des arbres couverts de mousse et de lichen, des pierres dressées, des collines, des forêts, noires, vertes, rouges, des renards, des loups, des ours, des sangliers, une maison au toit de chaume… Une maison au toit de chaume! Sylvain et Sylvette! Les diapositives à l’école! Oui, il avait été à l’école! On racontait des histoires en regardant des images, des diapositives sur un écran blanc! Il fallait le dire à ceux qui s’occupait de lui, il avait un souvenir!
Il fit immédiatement demi tour, filant vers la maison, dans le sens des aiguilles d’une montre.
Lovely image--- the picture. A fascinating image in the words.
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