Une barque dans la baie du figuier
(La Baie du Figuier, vue du port des pêcheurs de Fontarabie, 13 janvier)
Ciel voilé, coulée de bronze, image du nord, image des lointains, image des confins d’où nul n’est censé revenir.
Nous sommes face à face, seuls au centre de la baie, dans une barque de bois qui tangue doucement, mon père et moi.
Mon père parle, sa voix est faible, légèrement aiguë. Comme peut l’être ma propre voix quand je suis mal à l’aise, intimidé. Fragilité de l’enfance.
Il me parle de Saïgon, du Mékong, de son père, de la pluie qui frappe, des parfums humides, des soieries de sa mère, de sa peur des autres, de sa curiosité aussi, il me parle de l’ Algérie, de ses doutes, de L’Afrique, de la terre rouge, de la poussière, des femmes, il me parle de ma mère, de la douceur de sa peau, de la longueur de ses jambes, il me parle de Brahms, il me dit combien il aurait aimé danser, pieds nus dans les blés murs, il me dit tant de chose qu’il n’a jamais osé faire, il me dit qu’il ne sait pas pourquoi, il me dit qu’il n’a jamais essayé de savoir pourquoi il ne supportait pas de me voir aller nus pieds, il me dit encore sa peur, mais il me dit aussi que maintenant c’est fini, il est tranquille, il me dit qu’il m’a vu danser autour de son cercueil avec Mathilde, ma fille, il me dit que ça l’a fait rire, il me dit qu’il a toujours aimé rire.
Alors je sors de ma poche un bout de papier froissé, quelques lignes écrites en le voyant partir à l’hôpital, un an avant sa mort. Je les lui lis:
Combien de reproches, combien de révoltes, combien de silences, de refus,
combien de fois ai je haï ce que tu étais, ce que tu représentais,
combien de fois ai je tenté de parler, en vain,
combien d’étreintes, de baisers, n’ont pas eu lieu,
mais comment ne pas t’aimer,
comment ne pas t’aimer quand je te vois si démuni,
une telle frayeur dans le regard
quand les ambulanciers t’emportent.
Alors nous nous prenons la main, nous nous regardons droit dans les yeux.
Tout cela n’est qu’un rêve, un doux rêve, tandis que je regarde deux pêcheurs rentrer tranquillement au port.
Mon père n’était pas quelqu’un qui disait, nous ne nous regardions pas dans les yeux.
Mais qu’importe. Aprés avoir tant parlé, je sais aussi que le silence a ses vertus, qu’on ne peut forcer la source.
Il y a tant de rivières souterraines. Il suffit de coller parfois son oreille à la terre et d’écouter, juste écouter.
Mon père repose dans cette baie.
It made me think of the last time I saw my father---
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