mardi 3 mars 2020


Le cri de la mouette



(Étang de Saint-Cucufa, Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine)

À sa naissance, Marylise a poussé un cri qui a fait trembler les vitres de la maternité de Dunkerque. Apparue quelques secondes plus tard Noémie est née sans un bruit. Marylise et Noémie sont deux sœurs jumelles qui ont peu de choses en commun si ce n’est cet indéfectible amour après neuf mois collées l’une à l’autre.
Enfants, Marylise ne savait que dire non haut et fort, Noémie ne savait que dire oui à mi voix.
Marylise parlait pour deux et prenait les choses en main.
C’est pourtant Noémie qui est partie la première. Elle a dit oui à un polytechnicien en stage au port autonome de Dunkerque. Les années ont passé, monsieur a fait carrière, Noémie a appris les bonnes manières. Ils habitent maintenant une maison bourgeoise en pierre meulière à Marnes-la-Coquette. Noémie s’ennuie un peu, mais elle a un bon mari qui gagne bien sa vie et qui lui a fait des enfants intelligents.
Marylise a épousé un docker de Malo-les-Bains qu’elle mène à la baguette. Elle est chauffeur de bus et cultive sa gouaille à la CGT. Pour rien au monde elle ne quitterait cette côte plate et ventée
où on se sert les coudes quand ça souffle fort.
Les deux sœurs n’ont jamais cessé de s’écrire. Aujourd’hui Noémie a reçu une lettre de Marylise. Celle-ci lui raconte le carnaval qui a lieux ces jours ci, les rigodons où on se presse les uns contre les autres, la bande des chauffeurs qu’elle mêne avec ferveur, et surtout le championnat du monde de cri de mouette. Cette année c’est elle qui a gagné. Championne du monde de cri de mouette! L’année 2020 s’annonce belle. Déjà en 2019 elle fut sacrée championne du monde de décorticage de crevettes grises et d’épluchage de haricots.
Noémie a un pincement au cœur. Il y a si longtemps qu’elle n’a pas été à Dunkerque faire carnaval. Son mari déteste ça. Noémie se rappelle les chansons qu’elle chantait timidement tandis que sa sœur gueulait, les tototes de Charlotte, le cigare d’Édouard, les fesses d’Agnès, les cuisses d’Alice, wiche, wiche, wiche, viens jouer avec mon wiche, qu’est-ce qui darre, c’est Jean Bart…
Ce n’est plus un pincement, mais un serrement, un étranglement qui la saisit.
Il faut qu’elle sorte. Elle enfile son manteau de laine bleu marine et file au bois de Saint-Cucufa marcher à grands pas pour se défaire de ses regrets.
Apaisée, elle s’assoit sur son banc préféré au bord de l’étang. II y a des canards, des mouettes, quelques rares promeneurs avec leur chien.
Noémie regarde les mouettes qui ne semblent pas faire bon ménage avec les canards bien plus sages.
Et soudain elle se met à crier sur son banc, crier comme une mouette, un cri qui résonne dans le sous bois. Moi aussi j’aurais pu être championne se dit-elle!

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