Le jour où l'eau des poules a gelé
(Lestole, Saint-Alvère, Dordogne, 14 janvier, 9h)
Comme chaque matin, Clémence aide son mari à se lever. Elle en a encore la force.
Elle l’assoit dans son fauteuil face à la fenêtre. De là, on aperçoit les hameaux alentour, la Verrerie et la Bouzonnie. Le vieil homme ne dit rien, ne bouge pas. Il regarde. Il attend que la pierre des maisons, là-bas, attrape le soleil.
Elle reste un peu avec lui. C’est le regard de son homme, ce regard vif, qui cherche, qui boit l’aube, qui scrute l’horizon, c’est ce regard qui lui donne encore la force.
Elle le recoiffe avec une infinie douceur, puis elle va ouvrir le poulailler avant de faire le café.
Dehors l’herbe est blanche, les arbres sont blancs. Il faut dégeler l’eau des poules. Un peu d’eau chaude fera l’affaire.
Contre le mur, près de la porte il y a la canne de l’homme, une canne de bois clair au pommeau patiné, qui ne bouge plus depuis longtemps. Si le bois reprenait vie, elle aurait des rameaux.
Clémence!
Oui?
Quel jour on est?
Vendredi, le 14 janvier.
Ah… Vendredi tu dis, en janvier…
Oui, le 14.
C’est ça, vendredi 14……Janvier tu dis….
Oui, tu vois le froid dehors.
Oui, oui….Je le vois….Le froid. Tu peux apporter le carnet s’il te plait.
Elle lui apporte un carnet relié de cuir noir aux pages tournées et retournées, et un crayon de bois qu’elle taille avec soin avant de lui donner.
D’une main tremblante il note: Vendredi 14 janvier, le jour où sont passé les oiseaux, une nuée.
Clémence, tu les a vus les oiseaux?
Non, je m’occupais des poules. Elles sont magnifiques dans leurs plumes d’hiver.
Alors elle note à son tour, à la suite des quelques mots à peine lisibles de son mari: Le jour où l’eau des poules a gelé.
Elle relit à voix haute.
Vendredi 14 janvier, le jour où sont passés les oiseaux, une nuée, le jour où l’eau des poules a gelé.
Le vieil homme acquiesce, elle referme le carnet et le remet à sa place , sur la cheminée, à côté du calendrier de la poste.
A marvelous story-- rich in image.
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