Quand fume la rivière
(Limeuil, Dordogne, 14 janvier, 10h 15)
Dans les rues pentues de Limeuil, un homme souffle les feuilles, sa machine sur le dos, un casque antibruit sur les oreilles. Il est bougon. Il souffle trois feuilles dans une rue déserte, cheminées éteintes, maisons muettes aux volets clos.
Il a commencé en haut du village. Il est à mi chemin. Il descend vers l’ancien port de Limeuil, au confluent de la Vézère et de la Dordogne.
La souffleuse ne s’arrête plus. Il n’y a plus de feuilles à souffler, mais il y a des voix, des voix qui montent de la rivière quand elle fume en hiver, quand les cristaux de givre enrobent chaque feuille, chaque branche, les voix des gabariers qui se sont noyés là où les cours d’eau se rejoignent. Elles hurlent au secours et aucune main pour saisir celle qui va disparaître dans les remous.
L’homme les entend depuis si longtemps. Personne ne le sait. C’est son tourment et son secret.
Les voix qui montent quand la rivière fume en hiver. Et s’y mêlent les craquements du bois de la barque contre les piles du pont, les cris des riverains impuissants, le bouillonnement de la rivière en crue.
« Gare, gare, gabarier. Tu as la mort sous les pieds. mais elle te suit par derrière. » chantaient autrefois les enfants au passage des gabariers. L’homme a toujours entendu ce refrain qui ponctuait les récits de son grand-père.
L’homme fait comme il peut, en hiver quand fume la rivière, quand il faut nettoyer le village jusqu’au port. C’est son boulot, il ne sait pas faire grand chose d’autre, mais il l’aime bien ce boulot, sauf en hiver quand il n y a plus personne, et que fume la rivière.
Alors l’homme souffle les voix jusqu’à ce que le soleil soit suffisamment haut, et que disparaisse la brume là où les eaux se rejoignent.
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