jeudi 10 novembre 2022


La machine

(Hendaye, 9 novembre, 17h 05)

Il écrit face à la mer, sur une vieille machine à écrire Royal.

La machine sur laquelle écrivait Richard Brautigan, l’un de ses auteurs favoris.

La mécanique sonne comme une carriole, un train ou une bagnole.

À chaque ligne ding une station.

Les pauses sont longues parfois. 

Il attend que quelqu’un se présente au guichet. Un gangster, un hamster, une blonde, un capitaine de corvette… Pas de héros, il ne croit pas aux héros. Sauf si ce sont des chiens.

D’autres fois la machine file, pas d’arrêt, la table du chef de gare tremble au passage du train.

Quand il n’y a plus de jus, plus de gasoil, plus de cheval, il regarde  la mer et le ciel, la mer et le ciel qui charrient du rêve, des sentiments et de la vérité.

Il attend la marée haute, il attend que ça coule dans sa gorge et dans ses yeux.

Alors ça repart, la cloche sonne, ça pétarade, ça hésite, ça bringuebale, mais ça roule.

La soute à bagages est pleine, il y a une carte routière du Wyoming dans le vide poche.

Parfois il embarque la blonde qui attend dans la chambre à côté, une blonde d’une patience infinie qui n’a que de la liberté dans le regard. Et là dans l’histoire, il y a forcément de la neige, une bagarre de boules de neige et le plaisir de se coller quand il fait froid dehors.

Le bureau est envahi de cartons pleins de pages noircies. Il garde tout. N’a jamais rien envoyé. À aucun éditeur.

Il veut juste entendre la mécanique, aller aussi loin qu’elle l’emporte. 

Peut-il se perdre? Non. C’est comme un rêve. Quand ça tourne mal, on se réveille.

Quand la nuit vient, il ne voit plus la mer.

Il ralentit, jusqu’à ce que la machine s’arrête après quelques hoquets. Inutile d’allumer les lumières. 

Il referme le capot de la machine et va dans la chambre à côté. 

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