mercredi 9 novembre 2022


Qu'est ce que je peux faire...

(Hendaye, 16h 10)

Un oiseau égaré s’écrase sur la baie vitrée.

Rick se réveille en sursaut. Mal au crâne, mal au pied.

Une journée qui s’engage de travers.

Il pleut. Ploc ploc il y a une fuite quelque part. Il faut aller voir.

Il faut monter sur le toit. Non, c’est glissant, et il n’est pas couvreur.

Rick se sent inutile, bon à rien, couard, même la musique l’ignore.

Un bail qu’il n’a pas composé un morceau qui souffle comme le vent d’autan, un morceau qui soulève les jupes des filles et fait marcher les gars sur la tête.

Assis sur le lit, il pense à Anna Karina, les pieds dans l’eau, dans Pierrot le Fou, qui répète: Qu’est-ce j’peux faire, j’sais pas quoi faire…

Elle était jolie Anna…

Il pleut toujours. L’oiseau sur la terrasse bouge encore. Il est sonné mais pas mort. 

Rick le ramasse. Bon dieu, il n’est pas vétérinaire. Il reste là comme un con, pieds nus sur les carreaux mouillés, l’oiseau qui tressaute dans ses mains. Il ne sait même pas ce que c’est, pas un oiseau de mer c’est sûr, mais quoi? Il est si petit.

Il commence à sentir la pluie qui coule sur son visage, dans son cou. Faut rentrer, faire quelque chose pour cet oiseau. Mais celui-ci déjà ne bouge plus. Il a rendu l’âme dans ses mains.

Sa gorge se serre. Il ne va pas chialer quand-même…

Elle était jolie Anna…

C’est une journée qui ne tourne pas rond.

Il commence quelque chose et passe à autre chose. 

En sortant de chez lui, il marche dans une flaque. Il sent l’eau froide qui mouille ses chaussettes, des chaussettes en cachemire. La laine fait éponge.

Le ciel s’éclaircit.

Elle était jolie Anna…

Anna Karina qui dit aussi à Jean-Paul Belmondo: Y’a des idées dans les sentiments…

Il a pris son parapluie, ça ne sert à rien. Il le rapporte et voilà qu’il se remet à pleuvoir. Décidément.

Rick n’a pas le cœur à chanter, jouer, ou surfer. 

C’est une journée qui ne tourne pas rond. Même le vent hésite, sud, sud ouest, ouest…

Quand aux vagues, n’en parlons pas.

À l’arrêt du bus il veut aider une femme qui traine une énorme valise. Elle l’envoie promener.

Le seul sourire qu’il croise est celui d’un vieil homme vouté, un vieil homme qui ne fait plus que ça, sourire.

Rick erre toute la journée le long de la jetée. Il va dans un sens puis dans l’autre, il envie le pêcheur qui sait où poser son regard.

Il lui faut une balise, aujourd’hui il ne s’en sortira pas tout seul. Une balise.

Il va au bout, au bout de la digue. Là il y a une balise, rouge. La lumière est belle en cette fin d’après midi.

Il y a un homme seul face à la mer. Rick s’approche. Il entend alors la voix d’Anna Karina. Qu’est ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire… L’homme regarde le film de Jean Luc Godard sur son smartphone, là sur une digue face à la mer, debout sur les rochers.

 

Pierrot     -  Pourquoi t’as l’air triste?

Marianne -  Parce que tu me parles avec des mots, que moi je te regarde avec des sentiments.

Pierrot     -  Avec toi on peut pas avoir de conversation. T’as jamais d’idée, toujours des  

                    sentiments.

Marianne -  C’est pas vrai, y’a des idées dans les sentiments.


Rick et l’homme se regarde, comme de vieilles connaissances. 

Pour la première fois de la journée Rick sourit, un large sourire, un sourire avec du vent d’autan… 

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