mercredi 29 mai 2024


Marcello

(Venise, 23 janvier 2018, 15h 25)

Il va au hasard, toujours à pied, il change de nom chaque fois qu’il change de chaussures. Aujourd’hui, il s’appelle Marcello. Quand au fond d’une impasse il se cogne à un mur il chante.

Une voix de baryton qui caresse les portes et les fenêtres. Son chant peut être bref ou interminable, c’est selon le chemin qui l’a mené jusqu’ici. Parfois aucune fenêtre, aucune porte, ne s’ouvre; il fait demi tour tranquillement. D’autres fois on le chasse; il file. D’autres fois encore on l’applaudit, on l’invite même à entrer; il fait connaissance. 

Une fois, il est resté une semaine au troisième étage d’un immeuble ancien chez une dame presqu’aveugle qui lui a demandé de lui lire de sa voix chaude toutes les lettres de son mari défunt, les lettres de ses enfants et celles d’un amant de printemps. Les lettres les plus longues était celles de l’amant. 

Dans un autre pays, une autre ville, un jour sa voix a déplu. Un objet lancé d’une fenêtre criant « ça suffit! » l’a assommé. Quand il a repris connaissance, il faisait nuit, un chat jouait à ses côtés avec les débris d’une statuette de terre d’un dictateur bien connu. Il a caressé le chat en lui chantant tout bas Bella Ciao, puis s’en est allé en se frottant la tête marquée d’une jolie bosse.

Un autre jour, dans un pays où le soleil tape sur les maisons blanches, une bombe a crevé le mur devant lequel il chantait. Il n'a pas bronché, debout, couvert de poussière, puis a repris sa route tout droit en escaladant les gravats. Il est resté plusieurs mois sans voix.

 

1 commentaire:

  1. I've run out of ways to say how much I enjoy your stories. This was a great one.

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