mardi 8 janvier 2019



Le Fusil


(Gambaiseuil, Yvelines, 3 janvier)

Il y a longtemps que Marc a rangé son fusil, un Verney Carron calibre 12. Il est dans le placard sous l’escalier avec les cannes de son père, les sabots de bois fendu, la besace de cuir craquelé et le jeu de croquet, au chaud dans son étui de toile verte. Les cartouches ne sont pas au même endroit, il ne vaut mieux pas, elles sont dans la bibliothèque, derrière les bouquins de James Elroy
Marc ne chasse plus depuis l’accident de son beau frère. Un mauvais ricochet, un œil en moins.
Nadine l’a convaincu de ranger définitivement son arme. Refuser de cesser cette pratique de crétins, c’est le mot qu’elle avait utilisé, aurait été un motif de divorce.
Depuis il ne vient à l’affût que pour regarder paître les grands cerfs.
Ce matin, il est venu tôt dans la clairière, le jour se levait à peine. Impossible de dormir. Des images de flics tabassant des manifestants à terre, des images de manifestants tabassant des flics à terre, des images de feux, d’hommes casqués armés de flash-balls visant à hauteur de visage, et  de ses potes en  jaune  tournaient en boucle dans sa tête.
Ni cerf, ni chevreuil, juste un héron cendré qui s’est envolé à son approche. Un vol majestueux.
Marc est monté au mirador en prenant garde au barreau vermoulu de l’échelle. Il faudra le remplacer, et refaire le toit se dit-il, je ferai ça au printemps.
Marc est là depuis une heure. La forêt est étrangement silencieuse ce matin. Il n’y a pas un souffle de vent. Il aimerait qu’il neige. Il marcherait dans la neige avec Nadine. Ils écouteraient la neige craquer sous leur pas. La solution viendra des femmes, pense-t-il, puisse mon fusil ne jamais sortir du placard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire