vendredi 18 janvier 2019


Théâtre, pigeons et tourterelles


(Vaucresson, 11 mars 2017)

 "Toutes les femmes portaient des châles lâchés dans le dos dont elles tenaient les bouts sur les bras avec cérémonie. Ils étaient rouges, bigarrés, flamboyants, ces châles et leur éclat semblaient étonner les poules noires sur le fumier, les canards au bord de la marre et les pigeons sur les toits de chaumes." 

C’est dans « Une Farce Normande » de Maupassant. Je marche Boulevard des Pyrénées à Pau en répétant le texte du spectacle que je jouerai ce soir.
Au loin les montagnes sont couvertes de neige, le ciel est cotonneux, la lumière douce. À l’angle d’une rue, j’entends roucouler un pigeon. Cela pénètre en moi comme une liqueur savoureuse qui met en joie.
Le chant des pigeons me conduit chaque fois au même endroit, rue Cantegril à Toulouse, où habitait ma grand-mère. C’était un grand appartement au fond duquel un petit escalier menait à l’atelier de mon oncle, le peintre Pierre Igon pour qui j’ai toujours eu une profonde affection.
Ma grand-mère et mon oncle avaient en commun ce sourire qui éclaire encore le visage de ma vieille mère, ce sourire que je partagerai ce soir en disant les mots de Guy de Maupassant.
Le sourire d’un appétit de vie quelque soient les circonstances, aussi funestes soient-elles.
Je marche Boulevard des Pyrénées. Je perçois la tendre présence de ma mère et mon oncle avec qui je marchais, enfant, dans la montagne. Notre madeleine, c’est un petit coin d’Ariège qui sent bon le fumier, où les poules caquettent et les mouches taquinent.
Je marche Boulevard des Pyrénées heureux de jouer au théâtre ce soir. C’est inimaginable le monde qui m’accompagnera sur scène: mon oncle, ma mère, mes ancêtres, chaque visage à qui j’ai porté attention aujourd’hui dans la rue, un indien portant une barbe blanche comme neige et un long manteau, un mendiant au visage tatoué de lignes en pointillé, une vieille dame encourageant deux ouvriers sur un chantier, une grande blonde portant un large pantalon bleu , un petit homme rougeaud qui me dit en regardant les fontaines jaillir dans un bassin :  "Ça donne envie de nager!"
Avant de jouer mon amoureuse appellera et me dira un gros merde, elle sera là elle aussi, présence discrète sur mon épaule. Elle qui rouspète gentiment quand les tourterelles sur le toit de la maison la réveillent au petit matin.
Deux tourterelles sur une carte porte bonheur.

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