samedi 26 janvier 2019


L'ombre de la grange


( Curemonte, Corrèze, 24 janvier)

La grange de Fernand surplombe la route, près du cimetière à la sortie du village. C’est son coin, son observatoire. Il ne se mêle pas au monde, il le regarde de loin. Depuis la mort du père c’est le frère qui s’occupe de la ferme. Fernand ne s’occupe que des bêtes, à sa façon. Il bichonne Bernard, le taureau, pour les concours. Les concours agricoles sont les seuls moments où Fernand consent à s’éloigner de la ferme. Il n’y a que les mains et la voix de Fernand qui calment Bernard lorsqu’il a un coup de sang. Et à Paris Bernard risque bien d’en avoir des coups de sang. Il fait parti des bovins sélectionnés à Lubersac pour le concours général de la race limousine au salon de l’agriculture de Paris. Bernard, un taureau limousin de trois ans, une masse brune impressionnante qu’il va falloir conduire à la capitale.
Le village est très visité en été. Caché dans l’ombre de la grange, Fernand observe les marcheurs sur la route en contrebas. Il les compte, il évalue leur âge et leur poids, note les couleurs et les formes des vêtements, la taille des sacs. Les voitures ne l’intéressent pas, seuls les hommes et les femmes qui vont à pied participent au décompte qui de saison en saison construit  sa représentation mentale de l’au-delà de la ferme.
Aujourd’hui c’est l’hiver, personne ne passe sur la petite route en lacets. Fernand a le temps de penser. Paris. Il va monter à Paris avec son frère, et avec Bernard. Fernand est fier, excité, mais il a aussi très peur. Il y a tant de monde là bas, loin de l’ombre de sa grange.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire