mercredi 4 mars 2020


Marguerite
(1895-1965)


(Vaucresson, 3 mars)

Elle a le teint pâle,
de longs cheveux blancs coiffés en tresses roulées sur les côtés,
elle est vêtue d’un kimono de soie à fleurs,
rose et noir.
Elle est assise au centre du lit,
le dos contre deux oreillers de plume.
Ses lèvres sont si fines,
un sourire esquissé,
à peine.
On se souvient de son visage,
de son élégance,
mais pas de sa voix.
Elle s’appelle Marguerite.
Marguerite! crie le mari
lorsqu’il a une envie pressante
et qu’elle n’est pas à ses côtés.
On ne saura jamais
si un jour elle a dit non.
Elle est assise au centre du lit.
La maladie n’altère en rien sa beauté.
Le mari tient un journal
précis, comptable,
des visites du médecin,
des nouveaux traitements.
Le dessus de lit est vert,
impeccablement plié au pied.
Les volets sont entrouverts,
la chambre est sombre.
Parfois elle semble s’éclaircir
un instant
comme entre les pales d’un ventilateur.
Un rêve d’Asie.
Ils ont vécu à Saigon.
Ils ont eu quatre garçons.
Elle est assise au centre du lit.
Le lit paraît immense
à l’enfant en culottes courtes
qui joue dans la chambre.
L’enfant joue avec un bateau de guerre
en plastique argenté,
sur un tapis persan
aux tons rouges et bleus.
L’enfant et Marguerite sont seuls.
Le mari est au jardin, au potager.
On ne saura jamais
s’il prenait soin de Marguerite
comme de ses plantes.
Il était d’une époque
où l’on prenait femme
car il était temps de prendre femme.
On se dit qu’ils se sont aimés,
sinon comment aurait-elle conservé
ce visage de reine.
Marguerite boit une tisane,
un tortillon de fumée
monte de la tasse.
L’enfant a dix ans,
les cheveux en brosse,
le regard coquin,
il joue en silence
avec son bateau de guerre,
un cadeau de sa grand-mère.
Nous sommes en 1965.
La maison s’appelle
Villa des capucines,
sente de la Folie,
à Vaucresson.
Marguerite a soixante dix ans.
Elle s’éteindra quelques jours plus tard.
Ma grand-mère.
Quand ma mère me l’a annoncé
je jouais avec un petit autocar
dans ma chambre.
J’étais devant le lit
couvert de rouge.
J’ai cessé de jouer, j’ai pleuré,
oh, pas longtemps,
quelques taches sur le couvre-lit,
puis j’ai repris mon jeu,
avec mon petit autocar.

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