jeudi 8 octobre 2020

 

Un temps à tuer

(Amiens, Somme, 29 septembre, 22h 40)

Rick traine son pas lourd sur les pavés humides d'Amiens.

C’est ce masque qui l’empèse. Un masque qu’il est obligé de porter. Un masque qui efface les trois quarts du visage. Rick respecte les règles. Puisqu’il faut le porter, il le porte. Et il se sait fragile, son asthme réapparaissant quand le travail vient à manquer.

Il est tard. Le bar de l’hôtel est fermé. Ils ne sont que deux clients, Rick, musicien au chômage, et Ferdinand François, c’est ainsi qu’il s’est présenté, vendeur de cravates sans cravate.

Les festivités d’automne ont été annulées. Rick est venu quand même, sans ses partenaires, sans ses instruments. L’errance sur la route, les chambres d’hôtels improbables, il en a autant besoin que des concerts. Un musicien sans cravate et sans instrument, c’est ainsi qu’à son tour il s’est présenté à Ferdinand François.

Ferdinand ne parlait que du Covid, des contraintes, du manque à gagner, d’untel qui dit que et de l’autre qui dit le contraire. Rick ne supporte plus ces leitmotivs. Il a laissé Ferdinand en plan dans le hall triste de l’hôtel et est allé regarder la télé dans sa chambre. La télé en face du lit, la télécommande sur la table de chevet, le geste mécanique du voyageur professionnel.

Il a regardé le film de  Cédric Angers, La prochaine fois je viserai le cœur, où Guillaume Canet interprète un gendarme tueur en série. Film étonnant où le spectateur petit à petit entre en empathie avec le tueur.

Après le film Rick était incapable de dormir. Il a pris son masque et il est sorti. En passant devant la porte de Ferdinand, il l’a entendu ronfler.

Et si j’entrais et je le tuais, comme ça pour voir ce que ça fait, tuer un homme. Et tout ce qui suit, se cacher, fuir, se faire attraper, la prison, tout ça… expérience ultime avant celle de sa propre mort. C’est ce que s’est dit Rick en entendant Ferdinand François ronfler.

Il n’a rien fait, bien sûr, Rick ne ferait pas de mal à une mouche. Il est passé devant la porte et il est sorti.

Maintenant il marche au hasard  dans les rues quasiment désertes. Il y a deux femmes devant lui. Il repense au film, à ce qui l’a traversé devant la chambre du vendeur de cravate. Il baisse son masque juste au dessous du nez. Un masque de tissu rouge avec des fleurs blanches. C’est sa voisine qui lui a fait. Avec ce masque on ne me reconnait pas, se dit-il, je pourrai les tuer elles aussi, et pourquoi pas la voisine. Ses pensées le surprennent, le troublent. Elles sont brèves, ce ne sont que des pensées, elles le font sourire, mais quand même elles l’ont traversé.

L’homme est un drôle d’animal se dit-il.

1 commentaire:

  1. Your tales are a welcome respite from the evils and noise that seems to surround us here these days... This one seems very real.

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