Un marin qui sait y faire
(Port de Bayonne, 27 mars)
Le ciel est noir, l’Adour est boueux, Rosalie aime un marin polonais au goût de fer.
Un marin qui boite un peu, un marin qui ronronne et rugit, un marin qui sait y faire.
Demain il partira pour l’Argentine. Il lui a dit: ne m’attends pas, jamais.
Mais Rosalie est une fille qui attend, toujours.
Elle ne dormira pas, elle écoutera les pas dans l’escalier, elle regardera par la fenêtre, elle fumera des cigarettes, des Camels, comme lui.
Elle regardera son téléphone, elle pleurera, elle se caressera en pensant aux mains épaisses qui savent si bien trouver le chemin, elle sera heureuse d’aimer, puis pleurera à nouveau.
Rosalie travaille dans un restaurant sur les berges de l’Adour. Elle essuie les tables avec rage. En face L’Albatross est toujours à quai. L'Albatross, avec deux s, deux corps emboîtés. Son marin est à bord. Il va passer la nuit dans sa cabine. Sans elle. Demain il prendra la mer.
Elle voit le cargo, elle entend son matelot claudiquer sur la passerelle, elle sent son parfum de musc et de fer, elle le veut là, maintenant pour elle seule, et elle frotte frénétiquement le bois des tables.
Il lui a dit: ne m’attends pas. Mais elle attendra. Ce que Rosalie aime par dessus tout, c’est aimer, même si ça brûle. Alors elle attendra, jusqu’à ce que d’un autre cargo descende un autre matelot.
Un philippin au goût de bois, un indien au goût de safran ou un malais qui sait aussi bien y faire.
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