lundi 26 mars 2018


Trains


(Gare de Bordeaux, 17 mars)

Je me souviens du train à vapeur qui passait sous le pont des Trois Pierrots à Saint-Cloud.
Je me souviens des banquettes de skaï, des wagons verts avec un trait jaune, de la gare Saint-Lazare.
Je me souviens de l’odeur, bois et métal, un peu âcre.
Je me souviens du bruit régulier, sec, des roues sur le rail.
Je me souviens de la carte de famille nombreuse de ma mère.
Je me souviens des voyages en « train-auto » de nuit aux vacances d’été avec mes parents et mes trois sœurs.
je me souviens de la première fois où j’ai pris le train tout seul pour aller à Paris voir un film interdit aux moins de treize ans.
je me souviens des derniers trains que l’on attrape de justesse à une heure du matin.
Je me souviens avoir dormi dans des gares en Italie.
Je me souviens avoir attendu mon amoureuse le coeur battant.
Je me souviens d’une vieille mendiante qui se trainait sur ses mains, les genoux repliés et protégés de cuir, le long de la voie ferrée en Yougoslavie. Le train était à l’arrêt, des voyageurs lançaient des pièces, une nuée d’enfants les ramassait pour les donner à la vieille.
Je me souviens de ce train bondé entre Belgrade et Zagreb. J’étais assis sur mon sac à dos dans le couloir, coincé entre une mère, ses trois enfants  et leurs bagages. Ils m’avaient offert un morceau de fromage.
Je me souviens du goût du riz au lait à la cannelle d'un vendeur ambulant d’un train du Péloponnèse.
Je me souviens m’être endormi sur une banquette de bois dans un train italien. Je venais de passer un mois à la belle étoile et ce bois en était presque moelleux.
je me souviens de mon premier voyage en wagon-lit en compagnie d’un vieux comédien qui sentait l’ail.
Je me souviens du régisseur en gare de Hambourg qui nous attendait à la descente du train avec une valise pleine de billets pour nos donner nos défraiements.
Je me souviens des appelés qui  gueulait: la quille! dans les trains du sud-ouest.
Je me souviens avoir embrassé une inconnue une nuit en revenant de Suisse sur les banquettes dépliées. Je l’ai revue quelques années plus tard totalement par hasard.
Je me souviens avoir dit à une fille que c’était fini Gare du Nord à Bruxelles tandis qu’une bande de jeunes gens éméchés chahutait sur le quai.
Je me souviens des bonnes soeurs à cornette dans le train de nuit pour Lourdes, et des brancards sur le quai au petit matin.
Je me souviens des grincements des trains la nuit, lorsque je dormais chez Sophie rue du Charolais, à deux pas de la gare de Lyon.
Je me souviens avoir écrit une lettre d’amour au buffet de la gare de Lyon.
Je me souviens d’un skinhead frappant un camarade et lui fauchant son parapluie dans une gare à Londres.
Je me souviens de la gare de Limoges.
Je me souviens m’être souvent contorsionné pour me rhabiller sur des couchettes de seconde.
Je me souviens avoir été soudain réveillé par le silence du train à l’arrêt et avoir soulevé le rideau pour lire le nom de la gare déserte.
Je me souviens de mon train électrique. Il y avait une locomotive noire et trois wagons de marchandises.
Je me souviens d’une bande son:  des cris de chouette, puis un  train qui part, un train à vapeur qui démarre, siffle, accélère petit à petit. C’était dans le premier spectacle auquel je participais, « Prends bien garde aux Zeppelins ».

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