mercredi 18 avril 2018



Ce bout de terre


(Marly-Gomont, Aisne, 6 avril)

le vieux s’est effondré comme une masse. Le bruit sourd du corps sur le plancher, une chaise qui bascule, un appel étouffé. André se précipite. Il est  seul dans la maison avec son grand-père. Le vieux est nu, il regarde André, il a peur. André regarde son grand-père aussi démuni qu’un nouveau né, mais tellement plus lourd, si lourd qu’il lui est impossible de le relever.
André connaît si peu de chose de la vie. Il regarde la chair plissée, le sexe flétri. Un jour lui aussi sera comme ça.
Les pompiers eux savent s’y prendre, ils emmènent le vieux sur un brancard, André les suit jusqu’à l’hôpital. C’est la première fois qu’il monte dans un camion de pompier. On fait fonctionner la sirène pour son grand-père.
Ils sont maintenant aux urgences, un lit roulant dans un couloir, André est debout aux côtés du vieux qui s’agrippe à son bras. Me laisse pas crever ici! André regarde les doigts noueux, les doigts qui serrent, fort, si fort, tant de force encore dans cet homme qui ne tient plus debout.
Le vieux est pâle, de plus en plus pâle. Il s’accroche à André. Il parle. Il parle de sa terre. Dans une poignée tu trouves quinze vers de terre. Il parle de son chien, un chien loup aussi doux qu’un agneau. Il parle de l’ombre du tilleul devant la maison. Il parle du premier brochet qu’ils ont péché, il parle de la rosée, des champignons, il parle de Marguerite, des reflets de la lune dans ses cheveux. Jamais le vieux n’a parlé ainsi.
L’étreinte se desserre. André sait que son grand-père ne reviendra pas à la maison, alors dans le creux de l’oreille il lui dit: Moi aussi grand-père, je l’aime ce bout de terre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire